La modernisation des instruments de production fut au centre des préoccupations des gouvernements guinéens de 1958 à nos jours. Mais leurs efforts portèrent surtout sur l’introduction du tracteur qu’ils perçurent comme le moyen le plus rapide pour réaliser l’autosuffisance alimentaire en riz.
Rappelons que c’est en 1948 que cette énergie mécanique fut introduite à Siguiri, dans le but d’élever la productivité du travailleur agricole après les éclatants succès enregistrés dans ce cadre avec la culture attelée, introduite quelques années plus tôt en 1906 à Dabola, Kankan, Pita, Mamou, Dalaba, et Kouroussa, respectivement.
Mais, contrairement à la charrue à traction animale qui était plus accessible aux paysans, le tracteur était (est encore) une machine hors de portée de ceux-ci, compte tenu de son prix, et des conditions de son exploitation. Ce qui limitait (et limite encore) l’accès individuel des paysans à cet engin.
A l’avènement de l’indépendance nationale en 1958, les nouvelles autorités postcoloniales optèrent pour la mécanisation lourde de l’agriculture au détriment de la traction animale ou mécanisation légère. La création des Centres Nationaux de Production Agricole (CNPA) en 1960, des Centres d’Enseignement Rural (C.E.R) en 1966, des Brigades Mécanisées de Production (BMP) en 1975, des Facultés d’Agronomie en 1976, des Entreprises Militaires Agricoles (EMA) en 1976, et des Fermes Agro-pastorales d’Arrondissement (FAPA) en 1978, s’inscrivaient en ligne droite de cette politique de la mécanisation lourde.
Ces institutions furent dotées de divers équipements de production et post récolte, comprenant les tracteurs, les bulldozers à chenilles, les moissonneuses batteuses, et autres instruments aratoires. Mais c’est à partir de 1975 que cette politique de mécanisation lourde de l’agriculture atteignit son apogée sous le 1er régime, avec l’importation de quelques 500 tracteurs cette année là.
Les autorités de la 2ème république ne firent nullement exception à cette règle. Selon les responsables du dit département, c’est en l’an 2000 que la mécanisation lourde fut reprise. Quelques 500 tracteurs et leurs accessoires (charrues, pulvériseurs, herses et remorques) et des dizaines de moissonneuses batteuses furent introduites et distribuées à diverses associations de producteurs, aux travailleurs du secteur public, à l’armée nationale et autres groupes sociaux pour la production du riz.
L’avènement de la 3ème république fut marqué à son tour par la même démarche, avec quelques 150 tracteurs et leurs accessoires commandés en 2011. D’autres opérations d’importations de tracteurs et instruments aratoires furent engagées les années d’après, sous le strict contrôle de l’Etat. Ces engins furent affectés aux associations, aux coopératives de production et à quelques individus affiliés au régime.
Le hic est que les gros efforts financiers et techniques que ces opérations suscitèrent pour le trésor public et les services de l’agriculture furent, malheureusement, soldés par un échec cuisant, d’autant plus que la dépendance du pays vis-à-vis du riz importé pour nourrir une population en constante croissance n’a jamais faiblie. Au contraire, les importations de cette céréale allèrent crescendo d’année en année, comme on l’observa impuissamment depuis l’application de cette politique de la mécanisation lourde de l’agriculture engagée à l’aube de l’indépendance nationale.
Les nouvelles autorités qui, selon plusieurs sources médiatiques, envisagent d’importer 500 tracteurs cette année, devraient tirer les leçons de cette malheureuse et couteuse expérience de la mécanisation lourde qui n’a, en réalité, profité qu’à quelques individus haut placés dans l’administration publique et leurs complices agissant sur le marché. En effet, un grand nombre de ces engins agricoles ont, par le passé, faits l’objet de réexportations clandestines vers certains pays voisins. En outre, leur prix demeure encore inaccessible aux petits agriculteurs, épine dorsale de la production nationale. L’absence de services après vente viables, est un autre handicap à l’exploitation durable du tracteur dans nos campagnes.
Il serait intéressant d’explorer d’autres voies moins onéreuses pour le contribuable et mieux adaptées à la situation socio-économique des petits exploitants agricoles guinéens. Par exemple la promotion de l’utilisation de la charrue à traction animale qui conduira durablement le pays vers une autosuffisance alimentaire à moindre coût. En outre, la culture attelée stimule l’élevage des bovins. C’est donc une activité de création de la richesse nationale. N’est ce pas pour ces atouts et d’autres que le Gouverneur Roland Pré recommanda que ‘’ce mode de culture doit rester en Guinée la base de l’agriculture familiale’’.
L’utilisation du tracteur doit se faire de façon progressive et volontaire au rythme de l’émergence des producteurs leaders disposant des ressources suffisantes pour entreprendre cette action et non par les achats massifs et la distribution sélective de cette machine par l’Etat.
Mamy KEITA
Agroéconomiste à la retraite
Tel. : 620 88 49 98.
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