La chute de Bachar Al-Assad : une page tournée pour la Syrie et le Moyen-Orient [Par Oumar Kateb Yacine]

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Le week-end dernier, la chute de Bachar Al-Assad a marqué la fin de plus de cinq décennies de domination de la famille Assad sur la Syrie. Ce moment historique soulève de nombreuses interrogations sur les raisons de cet effondrement soudain et sur les répercussions géopolitiques qui en découlent pour la région.

Les Causes Profondes de la Chute

La défaite de Bachar Al-Assad n’est pas survenue par hasard. Plusieurs facteurs, à la fois internes et externes, ont convergé pour précipiter sa chute.

Sur le plan interne, le mécontentement populaire face aux années de guerre civile, de corruption et de crise économique atteint son paroxysme. La population syrienne, épuisée par les privations et les souffrances, voyait dans la fin du régime une opportunité de renouveau. Cette mobilisation populaire a renforcé les groupes rebelles, qui, contrairement aux divisions des années précédentes, ont réussi à former une coalition unie et déterminée.

À cela s’ajoute un essoufflement du soutien international. Si la Russie et l’Iran avaient jusqu’alors été des piliers du régime syrien, leurs engagements militaires et financiers ont montré des signes d’essoufflement. Moscou, confronté à des défis économiques internes et des tensions sur d’autres fronts, a une implication réduite. Téhéran, de son côté, a vu son influence érodée par une crise interne croissante et la montée de rivalités dans la région

Enfin, des erreurs stratégiques du régime ont également joué un rôle. La répression brutale des protestations dans les derniers mois a renforcé la haine envers le pouvoir, tandis que des défections au sein de l’armée et des élites ont sapé le moral des troupes l

Vers un Nouveau Scénario à la Libyenne ou à l’Afghane ?

La chute d’Assad fait craindre un scénario similaire à ceux observés en Afghanistan ou en Libye. Dans ces deux cas, la fin d’un régime autocratique a été suivie d’une fragmentation du pouvoir, d’un chaos généralisé et de l’émergence de groupes extrémistes.

En Syrie, ce risque est bien réel. Des factions rivales, bien que temporairement unies contre Assad, pourraient rapidement se disputer le contrôle du pays. De plus, l’influence persistante de groupes djihadistes, comme ce fut le cas avec Daech, représente une menace majeure pour la stabilité de la Syrie post-Assad, car ces factions pourraient exploiter le vide de pouvoir pour étendre leur contrôle territorial et renforcer leur justification idéologique.

Cependant, des facteurs distinctifs offrent une lueur d’espoir pour éviter un chaos total en Syrie. La présence de puissances étrangères, telles que la Russie et l’Iran, ainsi que les efforts internationaux pour stabiliser la région, pourraient limiter les conflits internes et prévenir l’émergence de factions radicales susceptibles d’exploiter l’instabilité pour étendre leur influence.

Répercussions Régionales et Internationales

La chute d’Assad redessine la carte géopolitique du Moyen-Orient. Les pays voisins, notamment le Liban, la Jordanie et Israël, scrutent avec attention les événements en Syrie. Pour le Liban, une nouvelle ère en Syrie pourrait avoir un impact direct sur le Hezbollah, dont le soutien militaire à Assad a été crucial. En Jordanie, une stabilisation du nord syrien pourrait permettre un allègement de la pression migratoire. Quant à Israël, l’effondrement d’un régime perçu comme hostile pourrait représenter une opportunité stratégique, bien que l’émergence de nouveaux groupes radicaux pose un risque sécuritaire.

Les puissances du Golfe, comme l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, pourraient tenter de renforcer leur influence en soutenant un éventuel gouvernement pro-occidental à Damas. Cette dynamique pourrait cependant exacerber les tensions avec l’Iran, qui ne renoncera pas facilement à sa position stratégique en Syrie, considérée comme un pilier essentiel de son influence régionale et de son accès aux corridors terrestres dépendant de Téhéran à la Méditerranée.

Sur le plan international, l’Occident se trouve à la croisée des chemins. Après des années de retrait stratégique, les États-Unis et l’Europe y compris la Turquie doivent décider de leur rôle dans la reconstruction syrienne. L’enjeu est de taille : stabiliser le pays pour éviter qu’il ne devienne un nouveau foyer de radicalisation et une source de crises migratoires en œuvrant pour la stabilisation politique et économique du pays afin de limiter l’exode de populations désespérées vers les pays voisins.

Un Message pour les Régimes Autoritaires

La chute de Bachar Al-Assad envoie un signal fort aux autres régimes autoritaires de la région. De l’Algérie à l’Égypte, en passant par le Soudan en guerre, les dirigeants observaient avec inquiétude la fin brutale d’un pouvoir qui semblait pourtant inébranlable. Ces événements pourraient susciter une montée des mouvements contestataires, bien que les régimes concernés chercheront probablement à renforcer leurs mécanismes de répression pour éviter un sort similaire.

Un avenir incertain

La Syrie entre dans une nouvelle phase de son histoire, marquée par l’incertitude et les défis. La reconstruction du pays, aussi bien sur le plan matériel que politique, nécessitera des années, voire des décennies. Le risque de voir la Syrie sombrer dans un chaos prolongé est réel, mais l’opportunité d’un renouveau demeure, si la communauté internationale parvient à faciliter un processus de transition politique pacifique, à soutenir la reconstruction économique et à promouvoir un gouvernement représentatif qui reflète la  diversité du pays, tout en neutralisant la domination de factions extrémistes ou autoritaires qui pourraient plonger le pays dans une nouvelle guerre civile.

La communauté internationale, les acteurs régionaux, et surtout les Syriens eux-mêmes joueront un rôle crucial pour bâtir un avenir durable. La fin de Bachar Al-Assad, bien qu’historique, n’est qu’un premier pas sur un chemin long et périlleux.

Oumar Kateb Yacine Analyste-Consultant Géopolitique

Président de lInstitut Afrique Émergente, un think tank panafricanis

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