L’histoire politique de la Guinée est une vaste mosaïque de luttes, de réussites et d’échecs, qui en fait l’un des pays les plus uniques d’Afrique sur le plan politique. Depuis l’indépendance, ce pays a vu l’émergence de leaders politiques solides, des figures charismatiques comme Sékou Touré, Lansana Conté et plus récemment Alpha Condé, qui ont marqué la scène politique par leur capacité à mobiliser et à gouverner. Cependant, derrière cette solidité des leaders se cache une fragilité structurelle des partis politiques, une faiblesse qui persiste depuis les premières années post-indépendance.
Les partis politiques guinéens, bien qu’ils aient souvent joué un rôle crucial dans les mouvements de libération ou dans l’administration du pays, manquent de structures solides et d’un véritable enracinement dans la société civile. En effet, la plupart des formations politiques, qu’il s’agisse du Parti Démocratique de Guinée (PDG) de Sékou Touré, du Parti de l’Unité et du Progrès (PUP) de Lansana Conté ou du Rassemblement du Peuple de Guinée (RPG) d’Alpha Condé, ont fonctionné comme des instruments personnels de leurs leaders, plutôt que comme des institutions démocratiques durables. Cette concentration de pouvoir autour des leaders a rendu les partis politiquement vulnérables, incapables de survivre aux départs ou à la mort de leurs fondateurs.
Les citoyens guinéens, bien que profondément conscients de l’importance de la politique dans leur vie quotidienne, manquent souvent de convictions politiques profondes. Cette réalité a façonné une société où les affiliations politiques sont souvent dictées par des considérations ethniques, régionales ou opportunistes plutôt que par des idéaux ou des projets de société. En conséquence, les citoyens guinéens, malgré leur intérêt pour la politique, adoptent souvent un comportement de suiviste, suivant les consignes des leaders locaux ou régionaux sans véritablement s’engager dans les débats de fond.
Ce manque de conviction politique se manifeste également par l’absence d’une culture militante solide dans le pays. Les partis politiques guinéens, bien qu’ils disposent de larges bases de soutien, ont rarement des militants convaincus qui défendent un programme de société ou une vision idéologique. Au lieu de cela, ces partis sont peuplés de clients politiques, des individus ou des groupes qui soutiennent un parti non pas en fonction de ses idées ou de son programme, mais en fonction des avantages matériels qu’ils peuvent en tirer. Cette dynamique clientéliste a considérablement affaibli la vitalité politique de la Guinée, créant un système où l’appartenance à un parti est souvent liée à des intérêts personnels plutôt qu’à un engagement idéologique.
Les clients politiques qui forment la base des partis guinéens ne se considèrent généralement pas comme des militants à proprement parler. Un militant est généralement une personne qui s’engage activement pour défendre les idées et les principes de son parti, parfois même au détriment de ses intérêts personnels. En Guinée, cependant, la majorité des partisans d’un parti adhèrent à celui-ci dans l’espoir de bénéficier d’une protection, de récompenses financières ou d’un emploi dans la fonction publique.
Ce manque de militantisme authentique crée un vide idéologique au sein des partis politiques guinéens. Les programmes politiques sont souvent mal compris ou ignorés par la majorité des partisans, qui se concentrent davantage sur les bénéfices matériels immédiats que sur le projet de société que le parti prétend défendre. Cette réalité rend les partis politiquement volatils, car ils ne disposent pas d’une base militante fidèle prête à soutenir leur vision à long terme, mais plutôt de clients qui peuvent changer d’allégeance en fonction des opportunités offertes par d’autres partis.
Le clientélisme est l’une des caractéristiques les plus marquantes de la politique guinéenne. Les ressources de l’État, qui devraient normalement servir à améliorer les conditions de vie de l’ensemble de la population, sont souvent utilisées pour récompenser les partisans et maintenir la loyauté politique. Les dirigeants utilisent ces ressources pour distribuer des emplois, des postes politiques, et des avantages matériels à ceux qui soutiennent leur pouvoir, en échange d’un soutien électoral ou d’une fidélité
Cette dynamique clientéliste a de profondes implications pour la démocratie en Guinée. Elle fausse le jeu politique, en créant une compétition inégale entre les partis au pouvoir, qui ont accès aux ressources de l’État, et les partis d’opposition, qui n’ont pas les moyens de rivaliser. En conséquence, le débat politique se focalise moins sur les idées et les solutions pour améliorer la société guinéenne, et davantage sur la capacité à distribuer des ressources et des privilèges. Cela affaiblit la capacité du pays à instaurer une véritable démocratie, où les électeurs choisissent leurs dirigeants en fonction de leurs programmes et de leurs visions pour l’avenir.
L’histoire politique de la Guinée est donc celle d’un pays où des leaders charismatiques ont dominé la scène, mais où les partis politiques et les citoyens n’ont pas toujours réussi à construire une culture politique solide et durable. Les pratiques clientélistes et le manque de conviction parmi les électeurs ont contribué à la fragilité des institutions politiques. Pourtant, la Guinée reste un pays où les aspirations démocratiques sont fortes, et où de véritables réformes peuvent encore permettre l’émergence d’une démocratie plus stable, plus inclusive, et plus juste. Pour ce faire, il faudra dépasser la politique de la personnalité, renforcer les structures des partis, et encourager une véritable culture militante, fondée sur des idéaux et des projets de société.
Abdoulaye DABO