Bienvenue en Guinée, ce laboratoire à ciel ouvert où les droits humains sont testés, triturés, puis gentiment jetés à la poubelle. Depuis l’arrivée du Comité National du Rassemblement pour leDéveloppement (CNRD) en septembre 2021, le pays s’est métamorphosé en un étrange mélange de dystopique polaire et de comédie noire. Chaque jour, un nouveau mystère se joue, avec pour acteurs principaux des journalistes, des activistes ou militants politiques. Ce pays qui, à défaut de figurer dans le palmarès mondial du développement, s’est hissé au rang de champion toutes catégories de brimade.
Cette semaine, c’est au tour de Habib Marouane Camara,l’administrateur général du site Lerevelateur224.com, de jouer lesvedettes dans ce drame à suspense. Kidnappé à Lambanyi par desagents de la gendarmerie, il a été conduit vers une destinationinconnue, probablement pour une petite séance de « questions-réponses » à la mode guinéenne. On imagine déjà le décor : deshommes en uniforme, des matraques à la main, et un Habib, un brininquiet, se demandant s’il a bien pris son café ce matin-là. Mais onn’est pas là pour rigoler car l’heure est grave, la situation inquiétante etl’enfer n’est pas loin même si certains jurent la main sur le palpitantavoir vu ici le jardin d’Éden.
La disparition de Habib Marouane Camara n’est pas un cas isolé, maisle reflet d’une pratique institutionnalisée où l’arbitraire règne enmaître. Et pendant que le pays sombre dans ce marasme, les autoritéscontinuent de prêcher un discours hypocrite sur l’État de droit, commesi leurs actes ne démentent pas notre vécu de tous les jours.
La scène est désormais familière : des hommes en uniforme, desvéhicules banalisés, et un citoyen propulsé malgré lui au rang defigurant dans ce théâtre kafkaïen. Destination inconnue, motifinexistant, et explications aussi absentes que les infrastructuresroutières du pays.
Les autorités, elles, s’en tiennent à leur script habituel. « Nousenquêtons », affirmer-elles avec le flegme d’un acteur qui joue mal sonrôle. Traduction : « Faites-nous confiance, mais ne posez pas dequestions. » Pendant ce temps, la population observe, impuissante,cette comédie dramatique où chacun sait qu’il peut être la prochainecible de ces tontons m’ajoutes à la sauce guinéenne.
Car ici, la loterie des disparitions ne fait pas de distinction.Commerçants, militants, journalistes ou simples citoyens, tout lemonde est un potentiel gagnant. Il suffit d’un mot de trop, d’uneopinion mal placée, ou simplement d’un mauvais jour pour seretrouver dans les griffes de cette machine répressive, huilée parl’indifférence et alimentée par des esprits inspirés de ceux peuplant lasphère de Lucifer.
Mais ne blâmons pas trop nos chers dirigeants. Après tout, maintenirun climat de terreur, c’est un boulot à temps plein. Entre les discoursenflammés sur l’État de droit et les rafles nocturnes et diurnes, fautbien avouer qu’ils maîtrisent l’art du grand écart.
Quant à la population, elle observe cette mascarade avec unerésignation teintée d’humour noir. « Qui sera le prochain ? » sedemandent-ils, mi-amusés, mi-effrayés. Car en Guinée, personne n’està l’abri : ni le journaliste opiniâtre, ni le commerçant à succès, nimême le badaud qui aurait eu l’audace de parler trop ou de voirpartout.
Alors, chers lecteurs, un conseil : si vous vivez en Guinée, marchezprudemment, parlez doucement et, surtout, évitez d’avoir une opinion.Car ici, le silence n’est pas seulement d’or, il est aussi une question desurvie. Quant à Habib Marouane Camara, on espère qu’il retrouverabientôt la lumière du jour. Mais en attendant, il fait office d’un rappelcruel : gardez votre sourire et vos précautions, car dans ce théâtre del’absurde, mieux vaut rester spectateur qu’acteur involontaire. Quant àl’impunité, elle trône en maîtresse incontestée.
Quel spectacle funeste !
Oumar Kateb Yacine
Analyste-Consultant Géopolitique