À Conakry, l’ambassade de la République populaire de Chine, censée être un passage vers de nouvelles opportunités commerciales et autres business, est devenue le théâtre d’une escroquerie à grande échelle. Cette représentation diplomatique est située dans la commune de Dixinn, sur la corniche nord à la Cité ministérielle de Donka. Aux abords du bâtiment et même dans une des cours d’une partie de la cité en construction, un réseau d’arnaqueurs se forme là.
Ici, les candidats au visa doivent débourser jusqu’à 3 millions de francs guinéens, bien que la procédure normale est à 450.000 GNF pour un séjour de trois (3) mois par exemple. Alors qui serait derrière ce tableau sombre qui met en lumière une pratique illégale largement tolérée? Les responsables consulaires sont-ils imprégnés de la situation ? Les autorités sont-elles au courant ? D’autres complices sont-ils directement ou indirectement impliqués? Mediaguinee.com tente de comprendre à travers un de ses reporters. Suivez!
Discrètement, nous avons pu constater quelques véhicules garés dans le couloir qui mène à l’ambassade, qui servent de négociations entre demandeurs de visa et arnaqueurs se faisant passer pour des « facilitateurs ». Nous nous sommes rendus depuis vendredi, 18 octobre 2024 dans les parages de ladite ambassade pour comprendre le scénario. À notre premier rendez-vous, le vigile trouvé là, nous a conseillé de passer désormais un peu plus tôt, du lundi au vendredi. Néanmoins, avant de quitter, nous lui avons demandé quelques détails de savoir à qui l’on pourrait nous adresser au prochain rendez-vous, afin de régulariser au plus vite notre situation.
« Prenez ce numéro. Il pourra vous aider et très vite. Quand vous le suivez et acceptez ses instructions, vous pourrez obtenir votre visa dans un bref délai. Mais en venant lundi, soyez prêts seulement. Sinon, certains peuvent faire ici des mois sans rien obtenir », a confié un vigile habillé dans une tenue de police.
Un système bien rodé !
Comme convenu, nous nous sommes donc rendu lundi, 21 octobre 2024 sur les lieux. À notre arrivée, on aperçoit des groupes de cinq à dix d’hommes et de femmes assis dans la cour de l’ambassade. Pendant ce temps, un monsieur très en mouvement, est cortégé par plusieurs demandeurs. Visiblement, c’est un homme à tout faire, qui ferait certainement partie de ce réseau mafieux. Entre la salle d’enregistrement, celle de la récupération des visas et la cour. Avec ses appels interminables, il se fait passer pour » un petit dieu » ou le Messie.
Pour obtenir gain de cause, nous nous sommes aussi fait passer pour des demandeurs de visa. D’abord, nous avons suivi un monsieur tout souriant, qui venait de recevoir le sien. Bonjour monsieur, s’il vous plaît nous voulons avoir quelques renseignements auprès de vous. Oui allez-y : « Avez-vous reçu votre visa ? Oui exactement. Ça vous a pris combien de temps ? « Ça dépend. Mais si vous, vous voulez vite avoir, patientez que ce vieux qui est en train de négocier avec le monsieur là finisse. Vous irez le voir et il vous aidera, mais prépare déjà un montant. Combien par exemple ? Ça dépend. Sinon, il y a aussi un autre monsieur assis quelque part…, du nom de…, lui aussi peut vous aider », nous a-t-il guidé.
Un système qui défie toute procédure !
À la porte de la salle d’enregistrement, les responsables de l’ambassade ont affiché depuis le 29 mai 2024 deux (2) documents dont l’un en français et l’autre en chinois. Bien que n’étant pas signés, il est néanmoins mentionné que: « (…) l’ambassade ne facturera aucun frais aux demandeurs avant que leurs documents ne soient acceptés et n’a autorisé aucun tiers à aider les soumissions des documents de demande de visa ou à déterminer l’ordre d’attente. En cas de récidive, il est indiqué que les plaintes soient reçues par téléphone au +224.664.00.88.99 et par email à conakry@csm.mfa.gov.cn”
Cependant, les victimes pour la plupart commerçants guinéens, cherchent à obtenir à tout prix, ce document stratégique pour mener à bien leurs affaires. Malheureusement, ils se retrouvent piégés par un réseau d’arnaqueurs qui promet tout, mais au prix des sacrifices financiers hors normes.
Le récit d’une victime!
Nous avons rencontré un homme, la trentaine, visiblement abattu par son expérience. Dépassé par le scénario, il a préféré garder son identité, tout en
acceptant de nous raconter sa mésaventure.
« Pour obtenir un visa, on n’a pas besoin de rendez-vous. Vous remplissez le formulaire, vous prenez les papiers et autres, vous partez directement là-bas pour déposer », explique-t-il et de poursuivre : « Mais, il y a toute une arnaque à la devanture même de l’ambassade. À l’entrée, on nous demande de débourser des sommes exorbitantes, qui se situent entre 2.500.000 GNF jusqu’à 3 millions. Et pourtant, le visa coûte officiellement 450.000 GNF. Mais généralement, on trouve des personnes qui affichent souvent une bonne volonté; qui distribuent les tickets imaginaires la nuit aux gens, en lieu et place des montants qu’on leur verse. C’est-à-dire tu leur donnes cette somme gratuitement pour juste recevoir un ticket. À défaut, tu peux faire un mois en train de chercher ce visa sans l’obtenir. Si tu es invité à assister à un forum ou pour le business et autres, tu vas faire un mois sans pouvoir déposer ton dossier. Cette arnaque se passe ici au vu et au su de tout le monde (…). Si tu n’arranges pas à la porte, tu vas faire des mois en train de venir tous les matins sans rien obtenir. Et on dit que le Chinois, lui, est dedans et ne serait au courant de rien. C’est Dieu seul qui sait, mais d’ici là, ils ne font qu’arnaquer des gens », a confié notre interlocuteur.
Plus loin, cette victime dénonce un système où les faux reçus et les promesses d’un traitement accéléré sont monnaie courante. « Je suis resté un mois à courir tous les matins, sans jamais obtenir mon visa », se plaint-il.
Les aveux d’un prétendu facilitateur!
Pour mieux comprendre ce phénomène, nous avons rencontré un homme dont nous taisons volontairement le nom. Il se présente lui-aussi, comme l’un des facilitateurs dans le processus d’obtention des visas.
« Ici, la procédure est simple; mais c’est si vous avez tous les documents. Il vous faut donc chercher un RCCM (Registre du Commerce et du Crédit Mobilier), la lettre d’invitation du pays d’accueil, le relevé bancaire, le formulaire, la réservation d’hôtel, le planning de vol d’avion. Mais essentiellement, il vous faut nécessairement avoir le RCCM et le relevé bancaire (…) Et dans tout ça, moi je ne demande que 1.500.000 GNF pour vous assister. Certains demandent jusqu’à 3 millions. Et si vous n’avez pas aussi la lettre d’invitation, je peux vous aider. Dans ce cas, cela vous coûtera 2 millions de GNF », explique-t-il, sans la moindre honte.
Lhomme se hasarde toujours à escroquer les pauvres citoyens. Dans ses explications, il a clairement confié: « Quand tous les documents sont validés, on vous donne un reçu de trois (3) mois, avec lequel vous partez faire un versement de 450.000GNF à la banque pour un visa de trois (3) mois, 680.000 GNF pour celui de six (6) mois, et 1.350.000GNF pour ceux-là qu’on octroie le visa d’une année », a-t-il signifié.
Une collaboration mafieuse avec l’APIP?
Le facilitateur dit avoir des partenaires à l’Agence de Promotion des Investissements Privés (APIP). Pendant ses démarches, il se rend souvent là pour obtenir des RCCM de ses clients, même en leur absence.
« Quand vous partez à l’APIP, ils vont vous dire que ça nécessite la présence physique, et là vous payez 210.000GNF comme des frais normaux. Alors si la personne n’a pas le temps et que c’est une autre qui part chercher pour lui, là il doit donner la photocopie de son passeport, deux photos d’identité fond blanc plus le certificat de résidence et un montant de 360.000 GNF, c’est-à-dire 210.000 GNF comme frais normaux et les 150.000 GNF qu’on donne aux gens là-bas, vu que c’est urgent. Ceci est une manière de faciliter l’obtention du visa », a confié notre interlocuteur. Ce que dément un responsable de l’APIP qui indique que sa structure est bien dans son rôle de délivrer des RCCM selon la loi en vigueur en Guinée. Mais se dit stupéfait d’apprendre que des agents retirent un montant supplémentaire aux clients. « On l’a appris avec vous. C’est interdit de délivrer un RCCM en l’absence du propriétaire. Nous allons vérifier. Vous êtes libre vous aussi de mener vos propres enquêtes au sein de notre entité. Ce qui aiderait à clarifier les choses pour le bien de tous », ajoute-t-il.
Alors que l’ambassade est réputée promouvoir les échanges entre la Chine et la Guinée, elle devient malheureusement un point de ralliement pour les escrocs qui exploitent la détresse des populations. Cette arnaque, qui se déroule au nez et à la barbe des autorités représentées par quelques gendarmes postés là, soulève beaucoup d’interrogations sur leur complicité et leur inaction face à ce réseau mafieux. Les victimes, acculées par l’urgence, se voient forcées de recourir à ces « facilitateurs » pour espérer obtenir leurs visas. Affaire à suivre !
Sâa Robert Koundouno
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