La presse burkinabè sous pression après l’enlèvement d’un journaliste

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Avec l’enlèvement, lundi 24 juin au petit matin, de Serge Atiana Oulon, journaliste et directeur de publication du journal d’investigation L’Événement, c’est un palier de plus qui a été franchi dans le musèlement de la presse au Burkina Faso. M. Oulon est le premier journaliste à être enlevé.

A l’issue d’une réunion de crise, lundi dans la mi-journée, les Organisations professionnelles de médias du Burkina se sont dit « consternées » par l’enlèvement de Serge Atiana Oulon. Ces organisations précisent que « selon des témoins, des individus à bord de deux véhicules se sont présentés à son domicile autour de 5H du matin et, à force de menaces, y ont eu accès. Ils l’ont alors kidnappé devant les membres de sa famille et l’ont amené vers une destination jusque-là inconnue. »

Prise de peur panique, l’épouse de Serge Atiana Oulon s’est rendue chez le grand frère de son mari, Ouézen Louis Oulon, lui aussi journaliste de renom. Dans une interview à VOA Afrique quelques heures après l’incident, ce dernier assure que les ravisseurs de Serge ont d’abord refusé de décliner leurs identités. C’est quand ils sont revenus pour saisir les appareils électroniques (les ordinateurs et le téléphone) que ces hommes ont dit qu’ils étaient des agents de l’Agence nationale de renseignement (ANR).

L’article qui dérange ?

Le 20 juin 2024, le Conseil supérieur de la communication (CSC), organe de régulation, avait suspendu pour un mois le journal L’Evénement dont Serge Oulon est le directeur de publication. Le CSC reproche au bimensuel d’investigation des  » manquements  » dans son écrit:  »400 000 000 francs CFA des VDP détournés, le capitaine Prospère Boena s’en est allé avec son témoignage ».

Dans un communiqué, L’Evénement a dénoncé une « sanction injuste et abusive » qu’il comptait attaquer devant le tribunal administratif. Dans cette affaire, Serge Oulon avait été entendu par le CSC. « Est-ce que c’est une suite de cet article ? Est-ce qu’on lui cherche d’autres choses ? Pourquoi on recherche son ordinateur et son portable ? Est-ce qu’il va être enrôlé comme tout le monde ? » se demande son frère Ouézen Louis Oulon, ajoutant : « La famille est vraiment inquiète »

Des coïncidences suscitant des interrogations

Le même jour où Serge Oulon a été enlevé, se tenait au tribunal de grande instance Ouaga I le procès en diffamation et pour injures publiques intenté par le journal contre Adama Siguiré, un activiste défenseur du pouvoir. Le bimensuel s’est plaint d’avoir été accusé par M. Siguiré sur sa page Facebook de vouloir faire échouer la transition par la communication et le mensonge.

En tant que directeur de publication de L’Evénement, Serge Atiana Oulon devait assister à ce procès. Le dossier a été renvoyé au 29 juillet 2024. « Quelqu’un m’a fait le lien en disant qu’il y a eu un autre procès contre le syndicat (NDLR: la Confédération générale des travailleurs burkinabè), si vous vous rappelez. Et le jour même du verdict, on a tenté d’enlever la personne impliquée. Alors il y a des similitudes. Mais à quelle fin ? On ne sait pas », dit M. Oulon, journaliste et ancien directeur de la radio puis de la télévision publique.

Mettre la presse au pas ?

« Cet enlèvement intervient dans un contexte marqué par une succession d’actes liberticides et anti-presse. », affirment les organisations professionnelles de médias qui citent un certain nombre de sanctions infligées par le CSC aux médias, parmi lesquels, le journal en ligne Lefaso.net qui a reçu « une mise en demeure au sujet de son forum des internautes, entre autres. », de même que la télévision privée BF1 qui « a vu son émission 7Infos suspendue pour deux semaines par le CSC sur le fondement d’informations jugées fausses tenues par leur chroniqueur habituel, Kalifara Séré. » Ce dernier a été entendu par le CSC et la police. Mystérieusement, il est porté disparu depuis le 20 juin, selon les organisations professionnelles de médias.

En avril dernier, la VOA Afrique et la BBC-Afrique avaient aussi connu une suspension temporaire de deux semaines au Burkina Faso pour avoir repris un rapport de l’ONG Human Rights Watch accusant les forces de défense et de sécurité burkinabè d’exactions sur des civils dans le Nord du pays. Les Organisations professionnelles de médias disent tenir « les autorités pour responsables » de la sécurité et l’intégrité physique de Serge Atiana Oulon. Elles appellent à sa libération sans délai.

Depuis l’arrivée du capitaine Ibrahim Traoré au pouvoir en septembre 2022, la situation de la liberté de la presse est devenue progressivement préoccupante. Les médias étrangers, notamment français (Le Monde, RFI, France24, Jeune Afrique) et leurs correspondants étaient les premières cibles. Puis progressivement la répression s’est étendue au nom de la lutte contre le terrorisme.

Aujourd’hui, le journaliste Ouézen Louis Oulon soutient que « les journalistes semblent être égarés (…) » et ajoute que « le climat est quand même très lourd. Ils sont à un carrefour avec beaucoup d’issues et des issues qui ne sont pas forcément celles qui vont conduire sur le boulevard. Et donc je sens une détresse chez les confrères, les responsables des médias et je sens une sympathie d’une population qui, en fait, veut lire des journaux de journalistes professionnels comme on en avait la fierté d’être présentés par le passé », a souligné M. Oulon.

Les autorités burkinabè n’ont pas répondu aux appels de VOA Afrique pour une réaction.

AFP

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