Tribune] L’Etat guinéen, le grand corps malade de la République (Bangaly Keita)

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« Si un Etat est gouverné par la raison, la pauvreté et la misère sont honteuses ; et si ce n’est pas la raison qui gouverne, les richesses et les honneurs sont honteux » dixit Confucius ! 

Il y a près de 64 ans avant aujourd’hui, sur les ruines de l’inhumaine colonisation et porter sur les fonts baptismaux de l’Histoire et de la souveraineté nationale recouvrée, l’Etat guinéen se dressait à la face du monde avec la double promesse : garantir le « contrat social » et promouvoir le développement socioéconomique.

Aujourd’hui, en jaugeant la gouvernance à l’aune des résultats engrangés, le moins qu’on puisse dire, c’est que les fruits n’ont malheureusement pas tenu la promesse des fleurs. Le bilan de la gestion publique n’étant pas parvenu, hélas, à réaliser l’un ou encore l’autre de ces desseins fondateurs.

Parmi les innombrables échecs de notre Etat, le plus scandaleux est sa persistance incapacité à assurer, envers et contre tous, le « vivre ensemble », sa raison d’être. Dans plusieurs localités du pays, la sécurité et la tranquillité publiques ont fait l’objet, souvent à des occasions répétées, de graves atteintes qui se sont soldées par des statistiques qui font froid dans le dos, en termes de morts, de blessés et de dégâts matériels importants.

Et c’est la raison pour laquelle, à la suite de l’avènement de l’Etat, comme il était naturellement attendu sous nos tropiques, six décennies plus tard, la nation n’a pas encore pu emboîter le pas. La communauté de destin que l’Histoire, l’anthropologie, la géographie établissent, relève toujours d’une simple vue de l’esprit.

Mais à l’opposé, la fracture mémorielle, héritage des régimes successifs et autres fragmentations sociologiques dont l’électoralisme, intrus indésirable de la démocratie accouchée avec forceps, a souvent servi de répugnant alibi embrigadent la conscience du citoyen et prennent en otage, le débat national en constituant, le plus grand commun diviseur de la société. Aujourd’hui, de ce fait, le Guinéen se revendique d’une ethnie, d’une région, d’une religion mais pas ou assez d’une nation.

Quid de l’éminente et stratégique question de développement socioéconomique ?

Plus de 60 ans après les indépendances, l’administration publique, la maîtrise d’ouvrage de développement, dont la mission naturelle dévolue est la satisfaction aux besoins de l’intérêt général, n’existe pas la plupart du temps. Et si c’est le cas parfois, elle est totalement inefficace. Toujours est-il que les réponses qu’elle formule, pour prendre en compte la demande sociale sont insuffisantes, inadaptées et arrivent tardivement à leurs destinataires, les citoyens. De nos jours, son personnel est dérisoire, déphasé et mal utilisé, son organisation elle, chaotique et mal inspirée pendant que son fonctionnement lui est calamiteux et lourd.  

Les agrégats de l’économie nationale eux ont toujours clignoté au rouge. Même s’ils sont annoncés au vert, cela ne demeure qu’en théorie. Structurellement déficitaire, nonobstant l’exploitation de plusieurs gisements miniers et autres ressources naturelles, le budget de l’Etat est loin de constituer une réponse efficace aux exigences du développement, confronté qu’il est, à l’extrême gabegie, au détournement et à la scandaleuse planification. Au regard de l’état défiguré du pays, c’est à se demander à quoi servent les ressources publiques ? Bien malin qui y répondra !

Aussi, près de 30 ans après leur création, les fameuses communautés de développement, érigées par le truchement de solidarités dites naturelles, pour rapprocher des citoyens, les questions de développement local peinent à avoir du grain à moudre. Le transfert de compétences, propre de la décentralisation, ne s’étant limité qu’aux attributs, quoique certains sont encore querellés avec l’administration centrale, les moyens n’ayant pas toujours suivi. Aujourd’hui, ces collectivités locales ne sont pas à même d’assainir un quartier, une ruelle de la capitale ou encore, assurer l’esthétique publique.

Quant à la justice, ses bâtisses et ses ouvriers (magistrats, procureurs, greffiers et autres auxiliaires), ne rassurent pas les justiciables. Si elle n’est pas accusée de déni, c’est le procès de son iniquité qu’on lui intente. Son héritage, soit elle a été trop laxiste et complaisante vis-à-vis des uns ou bien elle a été trop sévère et amère à l’égard des autres. Protégeant chaque fois, le puissant, le privilégié du moment et punissant le faible, l’anonyme.

Les droits humains et les libertés publiques consacrés, dons du gouvernement du peuple, sont promus et chantés à tout-va à toutes les occasions officielles, mais il suffit de la plus modeste intervention des pouvoirs publics, des services de maintien d’ordre public, pour les voir violenter, martyriser. En la matière, c’est un lourd passif qu’on traîne, plus de 60 ans de violence d’Etat.   

Quant à l’école de la République, elle n’est pas encore devenue un creuset d’unité et de concorde nationales. Elle continue au grand dam de tous et de l’avenir, de distribuer un enseignement suranné au goût d’inachevé qui contraste avec la demande économique d’un monde en pleine et perpétuelle mutation et d’un pays condamné à suivre ou à subir la cadence. Toujours à former des philosophes, des sociologues, des juristes, des journalistes et autres, pendant que le pays attend des ingénieurs, des médecins, des comptables, des ouvriers qualifiés pour servir de bras ouvriers du développement.

Pire, l’autre situation, bien moins mesurable certes, mais plus grave, c’est l’érosion de la qualité et du code des valeurs de l’élite. Quoiqu’on ait à reprocher aux générations anciennes et actuelles de cadres, celles à venir, dans les cinq, dix ou vingt prochaines années, si on y prend garde, rassureront moins quant à leurs qualifications. Mieux, la crise de l’école guinéenne a toujours été structurelle. Mais, on y a chaque fois apporté des solutions épisodiques, cosmétiques. On continue à appliquer la politique de l’autruche. Toujours dans le « m’as-tu vu ? » jamais dans le consistant, le durable.

Pendant ce temps, l’hôpital s’il ne se fait pas désirer en campagne, laissant ainsi sur le bas-côté, de millions de citoyens dans le besoin de soins médicaux, en milieu urbain, il laisse crever des patients par inefficacité ou mercantilisme de son personnel. Ses prestations, quand elles ne sont pas une arnaque, les additions qu’elles imposent sont bien trop salées pour le citoyen lambda. D’ailleurs, en raison de ces insuffisances chroniques, le pays est devenu l’une des premières demandes d’évacuation sanitaire au monde. 

L’eau et l’électricité, substantielles pourtant, continuent d’être des denrées rares, même dans les grandes agglomérations, elles constituent un luxe réservé à une frange de privilégiés. « Château d’eau de l’Afrique de l’ouest », l’eau potable se fait désirer dans les ménages et fait accuser avec l’énergie, à l’industrialisation du pays, un énorme retard qui le maintient, plus de quatre siècles après la première révolution industrielle, dans un état rudimentaire. 

Les infrastructures routières et les équipements de mobilité, en plus de leur pénurie et de leur cherté, compliquent les conditions de déplacements des citoyens ; l’autre défi, c’est leur caractère accidentogène qui fait qu’ils sont devenus tristement, la première cause de mortalité dans le pays.

Dans tous les autres segments de la vie nationale, le constat offre le même tableau sombre et cauchemardesque que dans ce que nous venons de revisiter. Il s’agit d’une situation de crise généralisée qui touche l’ensemble des secteurs de la vie publique. 

Au même moment, la misère et la pauvreté de millions de citoyens ainsi que leurs corollaires continuent d’avoir de beaux jours devant eux. Dans la Guinée de maintenant, les seuls qui tirent leur épingle du jeu sont les « bandits à col blanc », les hommes d’affaires véreux ou dans une moindre mesure, certains membres de la diaspora. C’est à croire finalement que nous nous appauvrissons davantage que nous ne nous enrichissons malgré, l’exploitation de nos ressources et de notre travail. Quel révoltant paradoxe, une terre riche et bénie aux habitants pauvres et qu’on dirait damnés par le sort ? La maxime a raison de dire : « une nation vaut ce que valent les hommes qui la gouvernent ».

Mais comment en sommes-nous parvenus à réaliser, au fil des années, ce spectacle désolant de la gouvernance, alors que la providence nous a fait grâce de toutes les gages pour se construire un meilleur destin et surtout, cerise sur le gâteau, un des plus prolifiques sous les tropiques ?

Sans nul doute, les dirigeants successifs du pays sont les premiers et grands comptables et coupables de cet échec de la honte. Mais pas qu’eux. La complaisance du peuple qui a frisé à certains égards, la complicité a toujours été le lit à cette incompréhensible descente continue aux enfers.

Bien plus grave encore, que ce passé et ce présent calamiteux, c’est l’avenir du pays qui cristallise davantage l’inquiétude. Les perspectives qui se dessinent aujourd’hui sont quasi-insaisissables et sont loin de rassurer plus d’un observateur.

Mais que faire ? Quoi et comment devrions-nous entreprendre pour enrayer l’engrenage de cette tragédie nationale ? Avec qui et quelles ressources ?

Il est à se demander d’abord, si nous sommes encore un peuple et si nous voulons vraiment le changement, ou bien si nous y sommes prêts ? Si nous parions encore sur la démocratie, le développement, l’intérêt général ? Et surtout, si nous sommes disposés à payer le prix cher pour ces fondamentaux, pour notre bien-être à tous, et beaucoup plus, le bien-être de nos enfants, les enfants de nos enfants ?

Alors, que chacun se découvre dans son intimité, sonde son cœur et ses penchants pour trouver la réponse à ces légitimes mais cruciales interrogations afin de se faire sa propre religion de la crise ? 

On comprendra alors que la Guinée de nos ambitions à tous, sauf par une opération du Saint Esprit, n’est pas pour demain !

Bangaly Keita

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