Le minerai de Simandou pourrait alimenter les aciéries d’ArcelorMittal.
La valse des visites d’État des présidents George Weah du Liberia et Ram Nath Kovind de l’Inde au président guinéen Alpha Condé est un indicateur de la diplomatie économique. Cet article aborde, tant soit peu, un pan des dessous d’un lobby pressant en faveur des compagnies minières et des intérêts complexes.
Le 3 juin 2019, le ministre guinéen des mines et de la géologie, M.Abdoulaye Magassouba, avait été invité par M.Biro Diallo, directeur général pays du projet Simandou, à participer à la réunion tripartite[1], du 15 juin 2019, à Sofitel Hôtel Arc du Triomphe, Paris. Les objectifs de cette réunion avaient été « une introduction et une mise à jour sur le projet depuis la dernière réunion tripartite du 1er décembre 2018, une présentation de la portée de l’étude et ses résultats et une discussion autour de la combinaison possible d’options[2]».
Effectivement, le 15 juin, une délégation du gouvernement guinéen[3], conduite par le ministre des mines et de la géologie M.Magassouba, avait rencontré à Paris, des représentants des directions générales des sociétés Rio Tinto[4] et de Chinalco[5], « pour discuter du développement du projet d’exploitation du minerai de fer de Simandou[6] ».
A la suite de la rencontre du 5 octobre 2018 avec Rio Tinto et Chinalco, au cours de laquelle la société Rio Tinto avait manifesté son intention de relancer le projet, et des échanges qui avaient suivi, les représentants du gouvernement avaient affiché leur détermination pour cette dernière réunion du 15 juin, qui consisterait à « écouter les proposition concrètes[7] ».
Au cours de cette réunion, « au nom de ses partenaires dans le projet Simandou », Rio Tinto a présenté « une proposition de reconstruction en phases, du chemin de fer national (central ou encore appelé chemin de fer Conakry-Niger), avec un écartement standard et modification du tracé qui déboucheraient sur des ports fluviaux au Sud de Conakry à savoir Morébaya, Matakang, Benty, Konta, tous dans la préfecture de Forécariah[8] ».
Cet ancien chemin de fer (qui avait été construit sous la colonisation française), également appelé «Conakry-Niger», une fois reconstruit par le projet Simandou, serait au régime multiutilisateur (fer, bauxite) et multi-usager (fret, passagers, productions agricole et animale, etc). Sa capacité initiale serait de 30 millions de tonnes par an, avec une possibilité d’extension à 125 millions de tonnes (réalisable en phases).
Les avantages de cette nouvelle option de transport libérien, en lieu et place de la construction du chemin de fer dit Transguinéen, avaient été largement partagés entre participants. « Cette option pourrait améliorer sensiblement, les chances de financement du projet, par la participation de plusieurs sociétés minières, par les ouvertures aux financements des organisations de financements internationaux[9], comme le groupe de la Banque Mondiale, le groupe de la Banque Africaine de Développement, Africa 50 Infrastructure Fund, Eximbank of China, etc. ».
En réponse à travers ses délégués «le gouvernement a demandé à Rio Tinto de réexaminer cette option et d’expliquer techniquement pourquoi celle-ci qui avait été envisagée par le passé n’avait pas été acceptée par Rio Tinto, qui avait argué qu’elle était plus coûteuse ? Rio Tinto et ses partenaires dans le projet ont promis de faire, dans les deux prochains mois, un examen plus approfondi de la question et une visite du tracé de l’ancien chemin de fer[10]».
Ensuite, Rio Tinto a exprimé à la délégation guinéenne, «son ardent désir», de mettre en production commerciale «immédiatement, la mine de Simandou, d’abord par une livraison initiale de 5 à 10 millions de tonnes par an, à vendre à ArcelorMittal, à la frontière libérienne. Ceci pour faciliter l’autofinancement du grand projet intégré[11]».
En plus, Rio Tinto a soutenu que, « cette vente permettrait à ArcelorMittal d’approvisionner, des usines européennes, pour faire face au problème de VALE au Brésil. Cette production serait acheminée par camions de Simandou à la frontière libérienne[12] ».
Sur ce point précis, les délégués guinéens ont vivement réitéré à Rio Tinto, « la décision du gouvernement, quant à son exigence relative à l’évacuation du minerai de fer du Simandou par le Transguinéen, ainsi que la volonté des missionnaires de ne prendre aucune décision qui rendrait irréalisables les projets riverains à la frontière libérienne[13] ».
Rio Tinto a par la suite, profité de cette réunion, pour présenter à la délégation guinéenne, M. Biro Diallo, directeur général pays du projet Simandou et M.Nigel Jones, futur chef du projet Simandou, tous deux responsables de la nouvelle équipe en charge de la relance du projet Simandou.
En conclusion, les membres de la délégation guinéenne ont estimé «qu’il n’y a pour le moment rien de concret dans les propositions de Rio Tinto» et ont encouragé la Guinée, à «explorer toutes les options, afin d’éviter le piège de la poursuite pure et simple du gel du gisement de minerais de fer de la Guinée».
Aussi, un rapport de mission à l’attention du président Alpha Condé a entrevu « une ambiguïté dans la position d’ArceloMittal, qui amènerait à envisager une rencontre avec la haute direction de ce groupe (…), sauf objection de la part de l’autorité guinéenne, afin de s’assurer que rien n’est fait par Rio Tinto, pour retarder les projets de minerai de fer de Nimba et Zogota. Une telle rencontre serait organisée dans la plus grande discrétion pour éviter toute frustration du côté libérien qui ne semble pas avoir assez d’informations sur les actions de ArcelorMittal ».
C’est dans ce contexte exploratoire, que les ambassadeurs des pays membres de l’organisation pour la mise en valeur du fleuve Mano (la Mano River Union) à savoir la Guinée, la Sierra Leone, le Liberia et la Côte d’ivoire) se sont rencontrés le 2 juillet 2019, à Washington.
« Les quatre ambassades travaillent sur une idée de projet de Chemin de fer Conakry- Sans Pedro (Côte d’Ivoire) via Sierra Leone et le Liberia[14] ».
Ce chemin de fer de 1 134 Km sera développé dans une région de 50 millions d’habitants et permettra le développement des secteurs agricole et minier, sans oublier les autres services.
« C’est un projet que les ambassades essayeront de vendre aux investisseurs américains sous la nouvelle initiative américaine Prosper Africa ».
C’est dans ce contexte que le président du Liberia, George Weah a effectué du 11 au 13 juillet, une visite de travail et d’amitié en Guinée. Ce séjour a été mis à profit pour visiter des infrastructures minières sur le site de la société minière de Boké[15].
La délégation du président Weah a également visité certains chantiers sous contrats des entreprises chinoises, tel que le barrage hydroélectrique de Kaléta[16].
En marge de ce séjour du président Weah à Conakry, le docteur Mamadi Diané, ministre d’État, ministre de la Défense Nationale et coordinateur des affaires présidentielles a discuté de plusieurs « affaires » avec son homologue libérien, M.Daniel D. Ziankahn[17].
Auparavant et dans la foulée des préparatifs de la visite d’État du président Weah, le ministère guinéen des mines et de la géologie, avait préparé et soumis au gouvernement une série «de sujets clés » de coopération entre le Liberia et la Guinée.
Ces sujets abordent les principaux points à couvrir pour l’élaboration d’un accord d’implémentation des accords intergouvernementaux pour l’utilisation des infrastructures en territoire libérien par les projets miniers. Il s’agira d’une gestion commune des opérations ferroviaires qui « déterminera de l’avenir des projets de minerai de fer du sud de la Guinée ».
Ensuite le 1er août, le président indien Ram Nath Kovind a été l’invité « prestige » de Conakry. Une visite d’État de trois jours (du 1er au 3 août) a permis au dirigeant indien de défendre la diplomatie économique de son pays. Une diplomatie qui n’aurait point ignoré les intérêts économiques d’ArcelorMittal, concessionnaire des infrastructures de la Liberian Mining Corporation (Lamco).
En plus le président Ram ne pouvait dit-on, ignorer le contenu des griefs (au sujet des droits miniers de Dynamic Mining) de la diplomatie indienne à Conakry, contenues dans la lettre du 5 août 2016, de l’ambassade de l’Inde à Abidjan en Côte d’Ivoire (avec habilitation pour la Guinée et le Liberia).
Conakry, le 9 septembre 2019
Akoumba Diallo
akoumba2000@yahoo.fr
Journaliste
Analyste au cabinet Mineral Merit SARL
Ancien membre de l’ITIE-Guinée
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[1] Rio Tinto, Chinalco et Guinée
[2] Agenda pour la réunion tripartite du 15 juin, transmis par l’invitation du 3 juin, du directeur général pays du projet Simandou
[3] Comprenant le ministre M.Abdoulaye Magassouba, Dr Alhaly Yamoussa Bangoura conseiller du président de la République, M.Nava Touré conseiller principal, M.Bouna Sylla conseiller fical et N’Fanlly Sylla assistant du ministre Magassouba
[4] Il s’agit de Bold Baatar directeur général énergie et minéraux, Nigel futur chef du projet Simandou, John McMeekan directeur général projets Rio Tinto, Lawrence Dechambenoit vice-président relations d’entreprises EMEA, Dugald Wshart directeur général développement des affaires, Adrien Yee avocat général, énergie et minéraux, Binyan Ren directeur général Rio Tinto Chine, Leo Nan directeur général développement commercial Chine, Biro Diallo directeur général pays du projet Simandou
[5] Il s’agit de Feng Guiquan vice-président Chinalco, Bau Yu président CIOH, Hou Monroe interprète
[6] Rapport de mission du 24 juin 2019, à la haute attention du président de la République
[7] Membre A de la délégation gouvernementale à cette réunion de Paris
[8] Membre A de l’équipe gouvernementale ayant pris part à cette réunion de travail, à Paris
[9] Membre du staff de Rio Tinto présent à la rencontre de Paris
[10] Membre B de la délégation guinéenne à cette réunion
[11] Membre de l’équipe de négociation de Rio Tinto
[12] Rapport de mission du 24 juin 2019, à la haute attention du président de la République P.3
[13] Membre C de la délégation guinéenne à cette réunion
[14] https://www.facebook.com/permalink.php?story_fbid=2349221021830735&id=100002285817416
[15] https://guineematin.com/2019/07/12/boke-les-presidents-conde-et-weah-au-port-de-dapilon/
[16] http://mosaiqueguinee.com/guinee-liberia-georges-weah-visite-ce-vendredi-des-barrages-et-les-ports-miniers-de-la-smb/
[17] https://guineematin.com/2019/07/12/audience-au-ministere-de-la-defense-daniel-d-ziankahn-chez-dr-diane/