La mort vient de frapper encore trois fois la culture guinéenne.
Le 26 avril dernier, on était au Centre Culturel Franco-guinéen avec Abass Yansané, « le roi du Fonkadi ». Il était venu en compagnie de Mbemba du Bembeya me montrer son nouveau clip, dans son smartphone : « Mariage pompeux », version salsa. C’était à l’occasion de la clôture des journées du livre. J’attendais, alors, la voiture qui raccompagnait le cinéaste belge, Jean Marc Turine, à son hôtel. Jean Marc était invité par Sansy Kaba à ce salon du livre.
Je dis à Abass qu’il lui manquait des choses pour que le son ait une consonance salsa, à savoir la flûte, un peu plus de Toumba et de contrebasse. Abass ne sait à quel Saint se vouer pour la flûte. Je lui dis que Maître Barry, du Kaloum Star, peut, que je pourrais jouer à l’entremetteur, s’il le souhaitait, puisque j’ai des rapports avec Maître Barry, qui venait de me quitter à l’instant pour jouer dans la cour avec son orchestre et Rizo Bangoura.
Quelque temps après, c’est la nouvelle de son décès, par arrêt cardiaque. Je garde encore des photos de nous, quand il était venu, un soir, chez moi en compagnie de Briguel, un type plus grand que « Don Pé ». Je lui avais demandé des nouvelles de Briguel ,Abass me dit qu’il s’est marié, qu’il a deux enfants, qu’il réside actuellement à Nzérékoré…
On s’était donné rendez-vous, mais l’homme propose… Deux ou trois semaines plus tard, c’est la triste nouvelle qui m’a été annoncée par Tino, de même que celle du décès de Boul Diallo.
Voilà que la même source m’annonce celle de Boubacar Bah, le grand soliste du Syli Authentique, l’orchestre qui tenait la dragée haute au Sofa de Camayenne, quand Papa Kouyaté, membre fondateur du Sextet Camayenne, était venu en renfort. Qu’est-ce qui s’est passé dans cet embrouillamini ? La chose est vieille, il faut en parler, maintenant.
Entre 77-78, Bah avait faussé compagnie au Syli Authentique pour accompagner le Horoya Band, à Bamako. L’affaire était retentissante, puisqu’elle était allée jusqu’à la présidence. Asmiou Tall disait que Sékou Touré avait dit à son épouse : « Je t’avais dit que ton guitariste te trahira ! »
Il fallait trouver un guitariste-soliste et c’est Gbamou Condé, que Max avait fait venir là où on était, chez Sorel, à Matam. Il disait que c’était le guitariste du Nimba Jazz de Nzérékoré. Après, ce fut un certain Djélikè, puis Alphadjo, des impôts, puis Sissoko, le mari de Sayon Camara.
Mais personne n’avait trouvé gant à sa main comme Boubacar Bah, aussi rapide, aussi inventif, aussi créateur et aussi mélodique.
Boubacar Bah, guitariste inimitable:
J’étais, un jour, avec Djoussou Mory Kanté, qui logeait à Ratoma Kakimbo, sur la route qui mène au Forage,chez Jean Pierre, un type qui se disait réparateur de radios, TV et autres. A tout hasard,la radio passait le morceau Yéréwolo de Yaya bangoura, version Petit Condé. Je dis à Djoussou Mory que Petit Condé n’a pas loupé deux notes, mais c’est un solo au rabais. et je demandai à Djoussou Mory s’il lui est possible de refaire le même solo. Djoussou Mory me dit carrément que la manière dont Bah a joué ce solo, qu’ils ne peuvent pas le refaire. Je croyais que c’est par fausse modestie ou par humilité, mais en 2006, à la Paillote, j’étais allé en compagnie d’un ami, nostalgique, sur invitation insistante de Max, voir le Syli Authentique, qui n’avait plus de soliste, depuis Sissoko est allé en solo avec Sayon Camara…
On avec Maître Barry, on n’avait pas vu venir Yaya. C’est quelqu’un qui vint me dire que Yaya me demande, qu’il a mal aux pieds. C’est Maître Barry qui me dit : Allons le saluer, il est malade. Dire que Yaya m’attira et me fit asseoir sur ses genoux, c’est peu dire, pour celui qui avait mal. On a pris des photos, et j’ai demandé à l’orchestre de Jouer « Boiro ou Nina », pour chambrer un peu Max, qui avait commencé à perdre sa voix, à cette époque. La dualité était en faveur de Yaya, juste avant que Max ne file à l’aventure et de revenir zinzin (une réversion incroyable pour quelqu’un qui avait ‘’plongé’’. J’en parlerai, Max est averti, il n’en disconviendra pas).
Je demandai donc à Petit Condé de Jouier Boiro. C’est Yaya qui avait poussé un cri de détresse « hééé!! a mou nöma», (il ne pourra pas). et comme Maître Barry était à notre table, Petit Condé l’a accompagné et a fait une tournée, à l’honneur de Maître Barry. Je réitérai ma demande à Petit Condé, qui me dit : la guitare qui fait « guèné-guèné, là », d’accord, prochainement.
Boubacar avait de longs doigts qui prenaient des accords sur quatre casiers du haut du manche. Il le faisait avec une dextérité endiablée.
En 1976, Sékou Bembeya a enregistré Petit Sékou. Je demandai à Bah de me le jouer avec la guitare sèche. Il l’a fait en disant que c’est l’originalité, ce n’est pas inimitable. Je n’ai pas eu l’occasion de lui demander d’imiter le solo de Moussokoro, du même Sékou Bembeya, mais bon…
Ainsi va la vie. En bien ou en mal, chacun assumera son existence.
Boubacar Bah avait vu la fortune lui sourire au point d’abandonner ses amis, l’orchestre et ce qu’il faisait le mieux.
C’est le cœur un peu lourd qu’on constate comment un talent à l’état pur s’en est allé dans l’incognito, dans l’anonymat et dans la misère.
Moïse Sidibé