“L’histoire n’est pas notre émotion “ [Par Soninké Diané]

La publication récente de Kaba Condé, titrée « Une page ne peut suffire pour étaler tout le mal causé par Sékou à la Guinée », s’inscrit dans une longue tradition : celle d’une mémoire sélective, fragmentaire, et parfois franchement rancunière. La constance de cette posture a fini par devenir, il faut le dire, une véritable marque de fabrique. Toujours la même rengaine, assénée avec la même véhémence, comme si la répétition pouvait tenir lieu de vérité.

Reconnaissons-le d’emblée : les vingt-six années de gouvernance du Président Ahmed Sékou Touré ne furent pas un long fleuve tranquille. Des excès ont été commis, des erreurs ont été perpétrées, et des compatriotes en ont payé le prix. Il serait malhonnête de l’ignorer. Mais il serait tout aussi malhonnête, et historiquement réducteur, de faire de cette période un monolithe d’horreur, de résumer toute une ambition politique à des sabots en bois, à du riz pourri, ou à des slogans sortis de leur contexte.

Un bilan binaire ou une lecture contextualisée ? La Guinée de Sékou Touré, c’est aussi une affirmation farouche de la souveraineté nationale dans un monde dominé par les tensions de la guerre froide. C’est la sortie courageuse de la tutelle coloniale, l’un des premiers pays africains à dire non à la Françafrique. C’est la diplomatie non-alignée, l’alphabétisation en langues locales, l’industrialisation ambitieuse et une politique de santé et d’éducation qui a permis à des milliers de Guinéens d’avoir accès à des services de base.

Ces éléments ne sauraient être effacés d’un revers de la main. Ils font partie d’un bilan global, complexe, contradictoire, mais réel.

La tentation de l’ethnicisation : un piège dangereux dans sa tribune, M. Condé oppose les « ethnocentriques malinkés » à ceux qui, selon lui, diraient la vérité. Ce glissement vers une lecture ethnique de la mémoire nationale est non seulement maladroit, mais surtout irresponsable. Car les souffrances vécues durant cette période ne portaient pas l’étiquette d’une ethnie particulière : elles touchaient les militants de toutes les régions, les intellectuels de toutes les origines, les familles de toutes les appartenances.

L’ethnicisation du débat historique est une impasse. Elle empêche la construction d’une mémoire collective partagée, et alimente des clivages dont notre pays n’a plus les moyens.

Du devoir de mémoire au devoir d’unité
Il est temps de faire évoluer notre rapport à l’histoire. Le devoir de mémoire n’est pas une revanche. Ce n’est pas non plus une obsession. Il doit être un pont, non un mur. Oui, nous devons regarder notre passé avec lucidité. Mais nous devons aussi le faire avec responsabilité, sans haine et sans volonté de vengeance.

L’histoire de la Guinée ne commence pas avec Sékou Touré, et ne s’arrête pas à lui. Elle continue avec nous, avec ce que nous faisons de son legs – qu’il soit glorieux ou douloureux. Et ce que nous devons transmettre à la jeunesse, ce n’est pas la haine de l’autre, mais la volonté de comprendre, de réconcilier, et d’avancer.

Je cite l’écrivain Thierno Monénembo « C’est d’ailleurs le seul pays d’Afrique de l’Ouest, malgré tout,  à n’avoir jamais connu ni invasion, ni guerre civile, ni sécession, ni mouvement séparatiste » Ceux-ci ne sont pas les fruits du hasard, nous bénéficions du fruit des efforts de nos devanciers qu’ils faillent honorer et célébrer pour reconnaître leur engagement  en célébrant les symboles pour la postérité.

La mémoire est un exercice de vérité, pas un exutoire personnel. Elle demande de la rigueur, de la nuance, et de la hauteur de vue. À ceux qui s’entêtent à faire de l’histoire une arme de division, rappelons simplement ceci : ce n’est pas en ruminant les cendres qu’on rallume les étoiles. La Guinée mérite mieux. Elle mérite une mémoire réconciliée.

Soninké Diané

Citoyen