Un simple bijou peut-il vraiment diviser la société ? Les chaînes aux pieds, porteuses de significations variées, suscitent des débats passionnés au sein de la société. De la mode à la tradition, en passant par les jugements sociaux et les valeurs religieuses, ces parures de cheville ne laissent personne indifférent. Dans de nombreuses sociétés, les bijoux sont bien plus que de simples accessoires de mode : ils sont souvent des symboles, des marqueurs d’identité ou des signaux de statut. Parmi les bijoux les plus discutés, les chaînes aux pieds occupent une place particulière, créant des opinions et des jugements contrastés. Pour certaines, elles sont un plaisir personnel, un moyen d’affirmer son individualité ; pour d’autres, elles symbolisent la désobéissance, la vulgarité, ou même l’indécence.
Parlant de ses origines lointaines, selon un document de recherche que nous a fourni l’historien Aly Gilbert Iffono, porter une chaîne à la cheville est une habitude qui remonte à l’Egypte antique. Des parures constituées de bracelets de cheville ornés de pierres précieuses et de bagues d’orteil ont ainsi été retrouvées sur de nombreux sites archéologiques. En Inde, porter des bijoux aux pieds est une habitude solidement ancrée, essentiellement chez les femmes. En Asie comme en Afrique, les bracelets de cheville sont habituels : ils ornent les pieds des danseuses et les accompagnent des tintements de leurs breloques, ils complètent les tenues d’apparat, ils servent de signe d’appartenance à une tribu ou à une communauté. C’est à la fin du 20e siècle que l’Occident, à commencer par les Etats-Unis, adopte ces bijoux. Dans les années 90, les chaines de cheville sont à tous les pieds. Et depuis, elles n’ont plus vraiment quitté les boîtes à bijoux. Comme chaque communauté a sa culture, notre rédaction a aussi approchée, les femmes porteuses de ces bijoux de cheville, les religieux, un historien et autres, pour connaître leur avis sur la chose.
Madame X, une femme mariée et indépendante, défend avec fierté ses chaînes aux pieds. « Je ne les porte pas pour séduire, je suis femme mariée, je travaille bien, j’ai ma propre voiture et je suis logée chez moi. C’est juste un plaisir pour moi », dit-elle avec conviction. Selon elle, ces parures n’ont rien de répréhensible : « Je n’ai jamais entendu dire que la religion l’interdit. Non, mon mari ne m’a jamais demandé de les enlever ». Elle ajoute même : « S’il me demandait de les enlever, par respect pour notre mariage, je le ferais, mais je ne pense pas que ça soit un tabou. »
Pour d’autres, comme une dame interviewée, les chaînes aux pieds ne font pas partie de leur préférence. « Moi, je n’aime pas les chaînes aux chevilles. Si c’est ce qui me fera belle, je ne le ferai pas ». Elle reconnaît cependant que pour certaines, c’est un choix, et que ce n’est pas à elle de juger : « Les ancêtres portaient les chaînes aux pieds ».
Cependant, certains n’hésitent pas à émettre des jugements plus sévères. Un père de famille déclare sans détour : « Quand je vois la chaînette sur la cheville d’une femme, je te considère comme une fille de joie ». Selon lui, ces chaînes sont un signe d’indécence, et il va même plus loin en parlant de la façon dont il réagirait face à sa femme ou sa fille portant une telle parure : « Si je te vois avec, je vais t’accompagner devant les motels pour que tu exerces ton métier. ». Un jugement sévère, accompagné de l’idée qu’une femme qui porte des chaînes aux pieds envoie un signal négatif.
Les chaînes aux pieds suscitent aussi des réactions de certains intellectuels. C’est le cas du doyen, Aly Gilbert Iffono, président de l’Association des historiens de Guinée et ancien ministre. Il admet qu’il n’a pas de connaissances suffisantes sur l’origine de cette pratique mais critique cependant son usage: « Ce n’est pas une culture guinéenne. ». Il voit cette mode comme un marqueur de statut financier, opposant l’utilisation de l’or à celle de matériaux moins chers pour ceux qui ont moins de moyens. « Mais de toutes les façons, j’ai une mauvaise lecture concernant les chaines aux pieds (…) »,dira-t-il.
Enfin, les avis religieux viennent encore complexifier le débat. Un imam met en avant que dans la religion musulmane, l’usage de tout objet destiné à attirer le regard des autres, comme les chaînes aux pieds, est prohibé. Il précise cependant que si l’objet est porté en privé, dans le cadre du mariage, il n’y a pas de problème. « Tu peux le porter pour ton mari entre vous deux seulement à la maison, ce n’est pas grave ». La prudence est de mise, selon lui, car « le corps de la femme est un danger pour l’homme », et il recommande une couverture totale de celui-ci (bijoux aux pieds) en public. », explique l’imam Abdoulaye Kana Traoré, de la mosquée de Kököma.
Ainsi, les chaînes aux pieds semblent plus que jamais être un symbole de l’intersection entre tradition, modernité, culture, et religion, révélant les tensions qui existent autour de l’autonomie, de la liberté individuelle et des normes sociales. Pour certaines, elles sont une simple manière d’exprimer leur personnalité, pour d’autres, elles sont un symbole de déviance ou de soumission. Une chose est certaine : ce bijou continue de faire débat, et chacun, selon ses valeurs, lui attribue une signification bien particulière.
Christine Finda Kamano
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