Pierrette Herzberger Fofana, ex-députée européenne du Parti des Verts allemand, revient sur les propos polémiques du président français, Emmanuel Macron.
Le chef de l’Etat français, Emmanuel Macron a estimé que la France avait eu « raison » d’intervenir militairement au Sahel « contre le terrorisme depuis 2013 », mais aussi – et c’est surtout cette partie de ses déclarations qui font réagir – que les dirigeants africains avaient « oublié » de « dire merci », tout en déplorant leur « ingratitude ».
DW : Bonjour Madame Pierrette Fofana.
Pierrette Herzberger Fofana : Bonjour Monsieur Barry.
DW : Le président français Emmanuel Macron a déclaré que certains dirigeants africains auraient oublié de dire merci à la France pour son soutien. Pourquoi, selon vous, ces propos de Macron suscite l’indignation au Tchad comme au Sénégal par exemple?
Pierrette Herzberger Fofana : Je trouve la formule du président français Emmanuel Macron un peu malheureuse. Parce que vous savez, lorsque vous commencez à dire l’Afrique n’a pas dit merci, d’abord, il fait de tout un continent un pays.
Il est vrai que la France a aidé le Mali à l’époque et certains pays qui avaient des problèmes avec les djihadistes. Mais de dire comme ça, alors on est obligé tout de suite de faire référence à l’histoire parce que qui doit dire merci à qui ? Est-ce que la France ne doit pas dire merci à l’Afrique ? Les anciens combattants qui ont versé leur sang pour l’Europe. Ce n’était pas très, très heureux comme cela. La formule n’était pas très heureuse.
DW : Alors comment expliquez vous justement les écarts de langage observés souvent dans les propos du président Macron lorsqu’il s’agit de dirigeants africains ?
Pierrette Herzberger Fofana : Oui, alors ça, c’est ce que l’on regrette. Et je dois vous dire que quand j’étais encore au Parlement jusqu’il y a quelques mois, nous avions bien mis dans les accords post-Cotonou et dans l’accord de Samoa qu’il faut absolument que l’on ait des rapports avec les pays africains sur le même pied d’égalité, c’est-à-dire le respect. C’est la première des choses et ça, c’est très trop souvent que cela arrive, qu’il y a des dérapages. Les populations elles-mêmes ne sont pas contre la France. Disons que les dirigeants réagissent parce qu’ils ont une frange de la population qui aussi trouve que le langage du président n’a pas été un langage très heureux.
DW : Alors dans les propos tenus par Monsieur Macron face aux diplomates français, il a dit, « nos lunettes sur l’Afrique sont fausses ». J’imagine qu’il parle de l’Afrique francophone ?
Pierrette Herzberger Fofana : Si monsieur Macron trouve qu’il doit changer de lunettes et se tourner vers les pays anglophones, bon, il peut le faire, il est libre de faire ce qu’il veut. Mais je trouve que ce n’est pas une façon d’agir. Il ne faut pas oublier que la France elle-même a célébré il n’y a pas longtemps la francophonie. Lorsqu’on voyait toutes ces histoires sur la francophonie avec des grandes promesses, que les relations vont être meilleures … mais ça fait presque 60 ans qu’on entend ce refrain là ! Il faut respecter les pays, il faut respecter les populations, il faut respecter l’Afrique et pas en faire un seul continent.
DW : Que pense-t-on du point de vue allemand de ces échanges qui se radicalisent entre la France et ses anciennes colonies en Afrique ?
Pierrette Herzberger Fofana : Je pense que du côté allemand, c’est un peu dommage, l’Allemagne est très bien vue en Afrique d’une façon générale et je crois que l’Allemagne ne fait pas assez dans ce domaine là. On a l’impression que l’Allemagne devrait plus s’engager et qu’elle considère un peu trop, surtout l’Afrique francophone, comme le pré carré de la France.
DW : Est ce que certaines critiques visant la France ne s’adressent pas aussi à la politique africaine de l’Europe ou de l’Occident d’une manière plus globale ?
Pierrette Herzberger Fofana: Bien sûr, bien sûr. Ce que l’on reproche à la France, on le reproche à l’Europe. Et les cinq années dernières où j’étais au niveau de l’Europe, chaque fois qu’on a été dans les pays, on a été en mission, on a entendu tous ces reproches et nous avons tout fait au niveau de l’Europe pour changer les termes lorsqu’on s’adresse à l’Afrique, d’essayer d’être plus sur le même pied d’égalité et de ne pas voir l’Afrique comme un réservoir où l’on peut tout retirer, toutes les richesses, parce que c’est l’impression que l’Afrique a tout le temps.
Je crois aussi, ce n’est pas tellement faux oui, de tirer que des richesses, que des richesses, alors qu’il faut un véritable partenariat et un partenariat c’est toujours sur le même pied d’égalité. Et c’est un peu ça qui n’existe pas tellement.
DW : Les propos du président français Emmanuel Macron ont provoqué aussi, dans certains milieux politiques français, des émules, des remous. Dans quelle mesure il est important de dissocier justement les propos d’Emmanuel Macron de ceux de l’opinion publique française?
Pierrette Herzberger Fofana : Mais bien sûr, il faut faire une différence entre ce que dit le chef de l’État et les populations. C’est valable aussi bien pour la France que pour les pays africains. Le chef de l’Etat a eu une formule qui n’était pas très heureuse. Mais il est évident aussi que beaucoup de personnes en France ont tout de suite réagi. Si on se pose la question qui doit dire merci à qui ? La France aussi, l’Afrique peut dire oui, mais la France n’a jamais remercié, par exemple pour le sang versé pour elle.
DW : Docteur Pierrette Fofana Merci.
Pierrette Herzberger Fofana : Alors moi aussi je vous remercie.