Au cours des dernières semaines, nous avons assisté avec beaucoup d’attention à un panel où le financement de l’économie guinéenne a été abordé dans toutes ses facettes. Au regard des positions de certains participants et intervenants les banques primaires implantées dans tout le pays, ne participent pas assez au financement de l’économie guinéenne. Ainsi, nous nous faisons le devoir de partager dans ce papier notre modeste connaissance et expérience sur ce sujet d’enjeu.
Comme nous aimons à le dire, bon nombre de soi-disant spécialistes ou pas dans ce pays aiment aborder des sujets qui les dépassent parfois car n’ayant pas toutes les informations requises pour les analyser. Avant de juger les banques, il faudrait tout d’abord connaître leur contrainte car, il n’est pas judicieux d’octroyer un crédit à une relation d’affaires dont on ne connaît pas bien.
Il faudrait tout d’abord savoir qu’en matière de banque, tout part du KYC (Know Your Customer). Dans ce pays, la connaissance du client est très difficile car bon nombre des prospects avant de devenir des clients font de la rétention de l’information (cas commerçants par exemple, pourvoyeurs de fonds). De plus, il n’y a pas la possibilité de tirer des informations spécifiques sur certains prospects spécifiques à l’image des PPE (Personnes Politiquement Exposées) au niveau des sources publiques car inexistantes. A cela s’ajoute l’absence d’une plate-forme de clients indésirables ou ceux figurant sur une liste de sanctions financières nationales, sous-régionales ou régionales, surveillance maritime ou d’exclusion RSE.
Par ailleurs, il est vrai que les contraintes de financement ont longtemps été considérées comme étant l’un des principaux obstacles au développement économique du pays en général et des PME en particulier. Cela ne veut pas dire que les difficultés d’accès au crédit bancaire ne sont pas observées au niveau du marché des Particuliers et des Grandes Entreprises. Si nous prenons le cas spécifique des PME qui doivent être mis en avant, bon nombre d’entrepreneurs n’ont pas la notion de ce que les procédures en matière de KYC appellent les données financières (bilan, compte de résultats etc.) ni les informations financières estimées par le Relationship Manager (conseiller clientèle) en lien avec le client. Et pourtant, avant d’octroyer un crédit, il faut au minimum des états financiers certifiés des trois (3) derniers exercices précédant l’année en cours afin de mieux apprécier la tendance. Or, même s’ils sont produits, ils ne reflètent parfois pas la réalité de l’entreprise. Ce n’est pas pour rien que les engagements en souffrance ne font que gonfler dans ce pays avec un taux de créances en souffrance qui est relativement élevé, ce qui limite la distribution du crédit (25% en moyenne).
Pourtant, la question du sous-financement de l’activité économique dans un contexte de surliquidité bancaire reste et demeure une question centrale. Si aujourd’hui les banques préfèrent constituer des encaisses et profiter d’une situation de rente plutôt que de prendre les risques de financer les activités productives en particulier celles des PME, c’est aussi en partie en raison de l’absence d’une Centrale des Risques (différent du projet SIC de la Banque Centrale en lien avec la banque mondiale) dont le but est de réduire le risque de crédit en collectant, traitant et enfin en partageant les informations sur la situation financière des relations d’affaires qui sollicitent le concours du système bancaire.
De l’autre côté, les banques sont confrontées dans leur activité à plusieurs autres problèmes à l’image de la volatilité du taux de change mais aussi de l’inflation suscitée par la hausse des prix des produits importés notamment le carburant qui impacte directement le panier de la ménagère à travers ses effets de contagion. S’agissant plus particulièrement du niveau du taux d’intérêt appliqué, il dépend du niveau de l’inflation qui avoisinait les 7% en glissement annuel en octobre 2024 (taux officiel naturellement) et 7% suivant l’adresse à la nation du président de la transition (cf. Discours du 31/12/2024).
A cela s’ajoute le coût de la ressource, la marge de la banque et la prime de risque. En plus, les banques rencontrent beaucoup d’autres difficultés avec les décisions de justice dans les différends qui les opposent avec les clients qui ne respectent pas les engagements. Le dernier cas qui a fait l’objet de médiatisation date de juin 2022 suite à l’affaire qui a été tranchée en faveur de HAMANA au détriment d’AFRILAND et d’ECOBANK.
D’autres facteurs non moins importants entrent dans cette situation malheureusement. Il s’agit entre autres : du coût d’enregistrement des actes, les taxes, les frais de notaire et d’huissier etc., exprimés en pourcentage des montants de crédit à distribuer. Tous ces éléments contribuent à alourdir et à renchérir le coût du crédit.
Par ailleurs, si les banques implantées en Guinée sont confrontées à divers problèmes comme indiqué ci-dessus, certaines d’entre elles rendent également invivable la vie des demandeurs de crédit car, certains commerciaux abusent de leur position de sorte que leurs décisions soient affectées d’un manque de visibilité de la part des relations d’affaires qui sont dans le besoin.
De même, les garanties exigées pour la mise en place d’un crédit sont dans la plupart des cas contraignantes et concernent souvent le patrimoine. Ce qui fragilise les agents économiques. Etant donné que les PME par exemple constituent un véritable vecteur de croissance économique, l’Etat guinéen a néanmoins, créé un fonds de garantie GPP (Garantie Partielle du Portefeuille) en 2023 sur recommandation et accompagnement de la Banque Mondiale qui partage le risque de sinistre à 50% pour les MPME (Micro, Petites et Moyennes Entreprises). Toutefois, à ce stade, nous ne pouvons nous prononcer sur l’enveloppe répartie entre les différentes banques primaires en place, quoi que certains observateurs estiment qu’elle serait relativement faible. Aussi, toujours sur les fonds de garantie, il y a un autre projet de garantie pour les MPME de la FGPE qui embarque même les engagements par signatures avec 70% de prise de risque.
Par ailleurs, ce fonds de garanties des emprunts quoique insuffisant permet d’alléger le fardeau du service de la dette (capital échu + intérêt). Tout ceci ne peut être possible qu’avec le concours de la Banque Centrale en sa qualité de Régulateur.
Enfin, malgré ces multiples contraintes, à fin novembre 2024 les encours de financement de l’économie (crédits/engagements par caisse sans les crédits/engagements par signature) par les banques s’élèvent à plus de 22 504 Milliards de GNF.
A notre humble avis, au regard de l’importance du sujet, la BCRG devrait prendre les devants afin d’étudier amplement cette problématique car, bon nombre d’agents économiques se plaignent en longueur de temps n’avoir point accès au service bancaire. D’ailleurs, au regard des chiffres à notre disposition, le taux de bancarisation n’atteignait même pas 8% à fin novembre 2022 même si l’on soutient ailleurs qu’il avoisine les 15% (ce sujet fera l’objet d’une communication ultérieure). Ceci signifie simplement que près de 92% de la population ne bénéficient pas de service bancaire, donc ils sont exclus financièrement. Comment pouvons-nous développer notre pays sans le concours bancaire (en l’absence d’une bourse) ?
Pour ne pas abuser du temps du lecteur, nous comptons revenir sur ce sujet les jours prochains avec plus de détails (avec des informations chiffrées) afin d’éclairer la lanterne de l’opinion publique et de l’autorité monétaire sur les véritables enjeux des réformes à entreprendre dans ce secteur.
Safayiou Diallo