Interview (touchante) de Kindi Bah : “si un infirme veut demander quelque chose, l’intéressé pense qu’on lui demande de l’argent“

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Instituée par les Nations unies le 3 décembre 1992, l’Humanité a célébré hier mardi l’An 32 de la Journée mondiale des personnes handicapées. Cette journée a pour but de promouvoir le « design pour tous », afin d’assurer les droits des personnes handicapées et d’intégrer ces personnes à mobilité réduite dans la vie politique, économique et culturelle. Mediaguinée a rencontré à Gomboya, dans la préfecture de Coyah, Mamadou Kindi Bah, responsable de la communication de l’Association des handicapés.

Trouvé à son domicile à Gomboya, assis sur son vélo en panne, ce jeune homme de 23 ans, infirme des membres supérieurs et inférieurs et atteint de dyslexie (quelqu’un qui a des difficultés de langage) depuis sa naissance encore célibataire et sans enfant, nous parle du quotidien des invalides, de leurs ambitions et formule également des doléances à l’endroit des autorités de la transition guinéenne. 

Mediaguinee : Aujourd’hui 3 décembre, c’est votre jour. Elle a été instituée pour que vous puissiez connaître entre autres vos droits. Que savez-vous de cette date ? 

Mamadou Kindi Bah: Je dirais que cette célébration est une journée de réjouissances et d’inquiétude pour nous. Puisqu’en Guinée les personnes handicapées souffrent dans presque tous les domaines de la vie. Mais je tiens à souligner que la situation est légèrement meilleure pour ceux d’entre nous qui vivent en ville, par rapport à ceux qui vivent à l’intérieur du pays, où les difficultés sont nombreuses et variées. C’est vrai que l’ancien président Ahmed Sékou Touré nous a laissé la Cité de Solidarité, qui dispose de grands espaces. Cependant, les personnes handicapées de Guinée ne peuvent pas toutes y vivre, et même ceux de Conakry n’ont pas la possibilité de s’y installer. Si vous regardez les toilettes, nous ne pouvons pas en dire grand-chose, même si des travaux de reconstruction sont en cours. Nous demandons humblement aux autorités de construire des écoles où nous pourrions bénéficier d’une meilleure éducation.  

Mediaguinee : Nous constatons souvent que vos semblables subissent des stéréotypes, que ce soit sur la route ou même au sein de leurs propres familles. Avez-vous vous-même été confronté à de telles situations ?

Mamadou Kindi Bah: Au sein de ma famille, Dieu merci, je n’ai pas été rejeté. Mes proches et mes connaissances prennent bien soin de moi. En ce qui concerne les routes, il faut dire que certaines personnes réagissent ainsi parce qu’elles pensent que si quelqu’un est infirme, il se contente seulement de tendre la main. Même si tu arrêtes quelqu’un pour lui demander quelque chose, il pense immédiatement que tu lui demandes de l’argent. Tout ce que je dirais à ces personnes, c’est de prendre le temps d’écouter ce que l’autre demande. Et même si elles n’ont pas d’argent, elles peuvent toujours répondre poliment. Cependant, mes reproches ne s’adressent pas aux gens, mais à l’État et à ceux qui ont les moyens. Si nous avions des lieux où apprendre des métiers et où vivre, nous n’aurions pas à subir tout cela. 

Mediaguinee : Avez-vous bénéficié d’une formation ou d’études à la Cité de Solidarité ? Je ne suis jamais allé à la Cité de Solidarité pour chercher à étudier ou à apprendre un métier. Pourquoi ?

Mamadou Kindi Bah: Parce qu’on pourrait dire qu’une personne infirme de ses membres mais avec un mental sain et une tête bien faite n’est pas vraiment handicapée. Je n’ai pas eu la chance d’étudier à l’école française. Ce que je demande aux parents d’enfants handicapés, c’est de leur offrir une bonne éducation. Il est important qu’ils fassent l’école, qu’ils apprennent les livres saints. Regardez notre conseillère au CNT, elle a un handicap, et elle occupe une fonction importante. Ne laissez pas vos enfants mendier dans la rue. Même si vous devez faire le commerce ambulant, trouvez de l’argent pour envoyer vos enfants à l’école. S’ils étudient, ils pourront occuper des fonctions élevées. Envoyez votre enfant dans la rue n’est pas une solution. 

Medaiguinee : Que demandez-vous aux autorités du pays pour vous venir en aide afin de vivre dignement sans tendre la main ou attendre toujours l’intervention des autres ?

Mamadou Kindi Bah: À tous les responsables du pays, y compris le président de la République, le général Mamadi Doumbouya, ainsi qu’aux hommes d’affaires prospères, je demande de nous aider pour l’éducation. Certes, parmi nous, il y a des personnes âgées, mais elles ont des enfants qui méritent d’être soutenus pour rompre avec cette chaîne de mendicité et de pauvreté. Si quelqu’un est infirme, il doit trouver de l’aide pour se déplacer. Imaginez, si vous sortez pour mendier avec votre enfant, et qu’un jour vous mourrez en lui laissant aucune éducation et aucune compétence, comment pourra-t-il vivre ? Il risque de devenir un délinquant parce qu’il n’a rien appris à faire, à part mendier. Le nombre de mendiants ne cesse d’augmenter chaque jour. Nous demandons donc à l’État de nous aider à avoir des écoles et des lieux de résidence adaptés. Nous avons aussi besoin de routes adaptées. Partout où nous allons, les routes ne sont pas conçues pour nous. Chercher des documents administratifs est un vrai parcours du combattant, car la plupart des bureaux exigent que l’on monte des étages. 

Mediaguinee : Comment Ousmane Gaoual peut-il vous aider? 

 

Mamadou Kindi Bah: Il peut nous aider en facilitant notre transport, par exemple en nous fournissant des bus adaptés à nos besoins. Actuellement, nous devons parfois attendre des heures pour trouver quelqu’un qui accepte de nous transporter. Si des véhicules spécialisés étaient mis à notre disposition, cela réduirait considérablement nos difficultés. 

Mediaguinee : Et au ministre de la Santé et de l’Hygiène publique ?

Mamadou Kindi Bah: Je demande de nous faciliter l’accès aux soins. Même si nous devons payer, que le prix soit raisonnable, car nous rencontrons aussi des difficultés dans ce domaine.

Medaiguinee : Au ministère de la Promotion féminine, de l’Enfance et des Personnes vulnérables

 

Mamadou Kindi Bah: Il y a beaucoup à faire pour améliorer la situation des enfants, des femmes et des personnes vulnérables. Nous demandons à la ministre de veiller à cela, sinon nous appelons le Premier ministre Amadou Oury Bah à intervenir. Nous croyons que nous pouvons aussi occuper des fonctions ministérielles et apporter des améliorations, même si nous ne pouvons pas tout résoudre. 

Mediaguinee : Aux riches

Mamadou Kindi Bah: Aidez-nous. Ce n’est pas uniquement en construisant des grands immeubles ou des infrastructures de prestige que vous ferez une différence. Vous pouvez nous aider en construisant des centres d’apprentissage, pour que nous puissions vivre sans difficulté.

Mediaguinee : Nous voyons sur les routes des enfants et même des personnes âgées (hommes et femmes) sans handicap qui mendient. Que diriez-vous à ces gens-là ?

Mamadou Kindi Bah: Je leur demande de ne pas se faire infirmes, je ne le souhaite même pas à mon pire ennemi. Je leur suggère de cesser de mendier et de prendre cet argent pour acheter des produits à revendre. La mendicité n’est pas une solution. Mais encore une fois, l’État est responsable de cette situation. Si l’État avait construit des lieux où les personnes handicapées pourraient vivre, aujourd’hui ces personnes ne seraient pas obligées de mendier. Si des cités ou des écoles de métier pour personnes handicapées étaient créées, l’État pourrait intervenir et appliquer la loi en empêchant toute personne handicapée de se retrouver sur la route à mendier. 

Mamadou Yaya Barry 

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