Ce 14 août 2024, Conakry se réveille sous une mer de pluie et de désespoir. Kaloum, jadis joyau de l’Afrique de l’Ouest, est désormais engloutie par des vagues impitoyables. Coronthie, déjà marquée par l’explosion d’un dépôt d’hydrocarbures en décembre dernier, est de nouveau sous les eaux. Ces torrents, que nous appelons inondations, sont le cruel rappel d’une nature qui se venge de notre indifférence.
La presqu’île se transforme en champ de ruines, paralysée par des embouteillages interminables. Les automobilistes, bloqués depuis l’aube entre le pont du 8 novembre et le palais du peuple, assistent, impuissants, à la tragédie d’une modernité déchue.
Les réseaux sociaux dévoilent un paysage désolant : véhicules et maisons, devenus des îles désespérées, sont submergés par une couverture aqueuse. L’agence nationale de météorologie avait pourtant prévu des amas nuageux et des pluies torrentielles pour les 14 et 15 août, avec des risques d’inondations modérées. Mais cet avertissement, noyé dans le bruit de notre indifférence, est resté lettre morte.
Nos routes de Conakry, jadis construites avec de grandes ambitions, se transforment chaque saison des pluies en véritables pièges. Ce qui devait être des artères vitales de la ville deviennent des nids d’éléphant ou d’autruche, jonchés de cratères béants et d’asphalte mal entretenu. Les travaux de construction, souvent mal exécutés, laissent des chaussées dégradées, sans trottoirs ni systèmes de drainage adéquats. Cette négligence dans l’entretien des infrastructures, amplifiée par la corruption et l’absence de contrôle, conduit à des conditions de circulation catastrophiques. Les automobilistes peuvent passer jusqu’à dix heures pour parcourir des distances de dix kilomètres, les produits saisonniers se périment avant d’atteindre les marchés, et les accidents deviennent fréquents en raison des routes défaillantes.
À Conakry, les inondations deviennent une routine, non pas une fatalité, mais le résultat d’une urbanisation sauvage et d’une négligence flagrante. Peu importe le visage politique des autorités, elles ont échoué à construire les remparts nécessaires pour empêcher la ville de se noyer sous ses propres erreurs. Les constructions illégales, la spoliation des espaces publics, un système d’assainissement obsolète et une corruption omniprésente sont les causes d’un désastre que nous avons choisi d’ignorer.
Chaque inondation révèle cruellement notre négligence collective : constructions anarchiques, déchets dans les caniveaux, et passivité face aux alertes météorologiques sont les symptômes d’une conscience collective malade. L’indignation est toujours bruyante mais éphémère. Après chaque crise, nous retournons à notre inertie, nos lamentations se dissipant dans le vent.
Il est temps de réévaluer notre relation avec notre environnement et nos responsabilités envers notre communauté. Les inondations ne sont pas seulement un désastre climatique ; elles sont le reflet d’un malaise social et administratif profond. Si nous continuons à ignorer les signes avant-coureurs et à fermer les yeux sur les véritables causes de notre malheur, nous nous condamnons à revivre cette tragédie encore et encore.
Il est paradoxal de constater que chaque fois que nos autorités tentent de remédier à la situation par des opérations de déguerpissement ou de libération des espaces publics, nous nous élevons en protestation. Nous râlons et nous indignons face à ces mesures nécessaires ; pourtant, si elles avaient été prises plus tôt, nous aurions évité bien des désastres. L’attachement aux constructions illégales et à l’occupation des espaces publics n’est-il pas un symptôme de notre incapacité à voir plus loin que le bout de notre nez ? Et si, plutôt que de voir ces actions comme des affronts, nous les considérions comme des opportunités pour reconstruire et assainir notre environnement ? Notre résistance à ces initiatives ne fait-elle pas partie intégrante du problème que nous essayons de résoudre ?
La région littorale des Rivières du Sud, jadis un refuge vibrant de vie, était autrefois un carrefour animé où les peuples se croisaient et les cultures s’enrichissaient. Enclavée, éclatée, à la marge des centres politiques et commerciaux, cette région était en réalité une terre d’accueil pour les paysans des anciens royaumes soudaniens, repoussés par les grandes puissances de l’intérieur. L’absence d’une entité politique fédératrice n’effaçait pas la richesse de cette région, qui se définissait par ses échanges avec les comptoirs français au nord et les ports de Freetown au sud. Aujourd’hui, cette splendeur passée semble noyée sous les eaux d’une négligence collective, un contraste saisissant avec le potentiel de renaissance que Conakry pourrait offrir si elle renouait avec ses racines d’éclat et de prospérité.
Nous devons réveiller notre conscience collective et agir avec détermination pour inverser cette tendance dévastatrice. Chaque citoyen, chaque autorité, chaque acteur de cette ville doit se mobiliser pour transformer ce désastre en une opportunité de renouveau. En unissant nos efforts et en adoptant une approche résolue et durable, nous avons le pouvoir de réécrire l’histoire de Conakry.
Alors, que choisirons-nous ? Nous résigner à vivre dans la peur et l’inconfort, ou décider de nous lever pour bâtir une ville résiliente, modèle de progrès et de solidarité ? C’est dans cette crise que se cachent les germes de notre avenir. Faisons de cette épreuve un catalyseur de changement et laissons Conakry renaître de ses cendres pour redevenir la perle brillante qu’elle mérite d’être. L’espoir n’est pas un simple rêve, mais une force tangible. Avec courage et engagement, transformons notre indignation en actions concrètes et faisons en sorte que les eaux de la négligence cèdent la place à un avenir radieux.
On dit qu’à l’entrée de Kaloum, il existe une figure légendaire : Mamiwater, protectrice des eaux locales. À en juger par la manière dont elle déverse ses torrents chaque fois que nous oublions de respecter l’équilibre fragile de notre urbanisation, on pourrait penser qu’elle est en colère contre nous. Avant de la fâcher davantage avec notre négligence persistante, avant qu’elle ne décide de raser Kaloum, ne devrions-nous pas nous engager à respecter les espaces publics et soutenir les initiatives de régularisation ? Comme le dit le proverbe local, « Won nakha ara khönö. Khanamu a gbelegbelema dangi yira tèmui gbètè ». Cette menace de la déesse de nos eaux, vraie ou fausse, ne devrait-elle pas nous pousser à réfléchir sérieusement sur notre responsabilité collective et à agir pour éviter que cette situation ne se reproduise ?
Ousmane Boh KABA