Impact du dérèglement climatique sur les relations entre les États [Youssouf Sylla]
Cet impact est multidimensionnel bien sûr ! Le dérèglement climatique étant une préoccupation planétaire, il n’épargne aucun État, qu’il soit grand émetteur de gaz à effet de serre (cas des pays industrialisés), ou qu’il soit petit émetteur ( cas des pays en développement comme la Guinée). Cet impact génère par conséquent tantôt entre États, des relations de coopération (diplomatie climatique) pour atténuer les effets du réchauffement climatique, tantôt des relations de tension ( crise diplomatique) au sujet de certaines ressources communes affectées par le réchauffement climatique, comme l’eau.
Entre coopération….
D’origine recente, on peut faire remonter les débuts de la diplomatie environnementale à 1972, dans la capitale de la Suède ( Stockholm). Sous l’égide de l’Onu s’est tenue dans cette capitale la première grande Conférence internationale sur l’environnement. Elle a permis l’adoption de la « Déclaration de Stockholm » qui consacrait le droit de l’homme à un environnement sain. Ensuite, c’est en 1992, à Rio de Janeiro ( Brésil) où s’est tenu le « Sommet Mondial de la Terre » sous les auspices de l’Onu, qu’on a pu parler plus spécifiquement de la « Diplomatie climatique » , à cause de l’adoption par les États de la « Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques ». Une Convention fondatrice, qui ne comportait pourtant aucun engagement chiffré quant à la limitation des émissions du CO2. En droit international de l’environnement, c’est le propre de toutes les Conventions-cadre de pas avoir d’engagements chiffrés. Il revient en effet aux Protocoles de ces Conventions de le faire. Pour la Convention-cadre sur les Changements Climatiques, c’est ce que font:
- le Protocole de Kyoto de 1997 ( qui reduit d’au moins 5% les émissions par rapport à 1990).
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Kyoto II de 2012 ou l’Amendement de Doha ( qui réduit d’au moins 18% les emissions par rapport à 1990).
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L’Accord de Paris de 2015 (qui imite l’élévation de la température à 1.5° C par rapport aux niveaux pré industriels), signé grâce au rapprochement de vues entre la Chine ( 1er pollueur du monde) et les USA ( 2e pollueur du monde).
Malgré le déploiement de cette diplomatie climatique, les résultats sont encore en deçà des attentes. En effet, les plus grands émetteurs n’étaient parties au Protocole de Kyoto. Par exemple, les USA l’avaient signé sans le ratifier, et le Canada s’en était retiré en 2011.
Tel n’est pas le cas de l’Accord de Paris, universellement accepté. Avec Joe Biden, les USA ont réintégré l’Accord de Paris en fevrier 2021, après leur retrait sous Donald Trump, un climato-sceptique. Ce dernier s’était mis à déconstruire tout ce que son prédécesseur, Barack Obama, avait réalisé notamment en matière d’environnement. Étant donné qu’il est de nouveau candidat à la prochaine élection présidentielle américaine, il y a donc des raisons de craindre le retrait de son pays s’il venait à être élu. Pour Trump, l’Accord de Paris empêche l’économie américaine de tourner à plein régime.
Les Conférences des parties (COP, on en est à la 28e qui vient de se tenir à Doha en fin 2023) de la Convention-cadre des Nations qui se tiennent chaque année constituent une excellente plate forme où se déploie la diplomatie climatique. Même si ce sont les Etats parties qui prennent en dernier lieu les decisions, les ONG et les représentants des sociétés industrielles (grands acteurs non etatiques de la diplomatie climatique), sont présents lors de ces COP dans le but d’influencer la décision finale de chaque État, selon leurs agendas, souvent contradictoires. Les COP sont aussi le lieu où les États vulnérables (pays en développement, pays insulaires menacés de disparition à cause de l’élévation du niveau des océans ) réclament plus d’engagements, notamment sur le plan financier de la part des pays industriels, pour financer leurs stratégies d’adaptation au changement climatique.
Outre la diplomatie climatique multilatérale conduite sous le magistère de l’Onu, il y a lieu de mettre un accent particulier sur la diplomatie bilatérale entre deux Etats au sujet par exemple de la prise en charge de certains peuples qui risquent de voir leurs terres enveloppées par la mer à cause de l’élévation du niveau des océans, resultant du réchauffement climatique. Il s’agit d’un accord de coopération entre l’Australie et l’archipel du Tuvalu au terme duquel l’Australie accorde graduellement le statut d' »asile climatique » à toute la population de ce pays dont le territoire risque d’être sous la mer d’ici quelques décennies. Alors que la communauté internationale hésite encore à créer par voie conventionnelle le statut de « réfugié climatique », comme il existe le statut de « réfugié politique », l’Australie montre ainsi la voie en signant un traité bilatéral avec Tuvalu en ce sens.
Et crises
Sur ce point, les experts s’accordent pour dire qu’il n’existe pas encore de relations directes entre les conflits interétatiques armés en cours dans différentes parties du monde, et le changement climatique.
Toutefois, on peut noter qu’au sein de certains Etats, il est possible de constater l’existence de conflits ou de tensions entre les communautés pastorales et agricoles autour des questions d’accès à certaines ressources communes comme l’eau, dont la rareté est attribuable au changement climatique. Il s’agit là de dégradations entre les communautés d’un même pays qui ne rentrent pas dans le périmètrede notre analyse. Donc, nous n’allons pas nous étendre la dessus. Nous allons plutôt nous focaliser sur les dégradations qui interviennent entre deux ou plusieurs Etats du fait de réchauffement climatique. A ce titre, on peut citer le cas d’une tension, pas d’un conflit armé, entre certains Etats riverains du fleuve Nil. Le Nil est le deuxième fleuve le plus long du monde ( 6 600 km) après l’Amazone qui traverse une dizaine de pays africains. Ce cours d’eau international est frappé par la baisse drastique de son débit à cause du réchauffement climatique et de l’action humaine. C’est dans ce contexte environnemental défavorable que l’Ethiopie a décidé de construire son Grand barrage de renaissance sur le Nil, sans tenir compte, selon l’Egypte et le Soudan en particulier, de leurs préoccupations. Cette situation est à la base d’une importante crise diplomatique entre ces deux pays et l’Ethiopie. Malgré leurs protestations, l’Ethiopie a achevé le remplissage des réservoirs de son méga barrage sur le Nil. Alors que la fin des travaux sur cette infrastructure est prévue en 2025, la crise diplomatique est encore ouverte entre l’Ethiopie et ses voisins à cause de la non conclusion d’un Accord entre eux. Cet exemple montre que les effets du réchauffement climatique sur les eaux que les Etats ont en partage peut être source de tensions, ou tout au moins, contribuer à l’exacerbation de celle-ci, si cette ressource commune n’est pas exploitée ou gérée selon une entente commune.
Au final, retenons que le dérèglement climatique qui résulte en grande partie de l’action humaine produit déjà des conséquences sur toute la planète. Selon les rapports scientifiquement documentés du GIEC ( Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’évolution du Clima), à l’allure où vont les choses, si rien n’est fait pour inverser les tendances suicidaires, la Terre risque d’être un enfer pour nous tous. Or, comme le dit une journaliste du média France 24, nous n’avons pas une planète B, mais nous avons un plan B. Ce plan consiste à sortir des énergies fossiles ( pétrole, gaz naturel et charbon), et à nous rabattre sur les sources d’énergies renouvelables ( soleil, vent, eau, etc.). Notre responsabilité ultime est donc de développer ce plan B pour rendre la Terre habitable pour les générations futures.
Youssouf Sylla, juriste