Devoir de mémoire, Adieu Mboré ! Hommage posthume à un frère et confrère… chapeau bas au parangon Ben Daouda Sylla
Ça commence déjà à dater, bientôt trois semaines ! Ce temps long, et surtout ce vide difficile à combler, celui de la place laissée par un homme, un frère, un confrère, si proche qui nous manque déjà énormément. Oui, il y a bientôt trois semaines seulement, mais déjà quelle éternité ! Ben Daouda Sylla, l’as du micron, le parangon de la presse audiovisuelle guinéenne nous quittait. Souvenons-nous ! c’est une foule compacte de proches, parents, amis, intimes et alliés qui accompagnait à sa dernière demeure, ce mardi 20 octobre 2020, cette icône, ce géant de la radio, le talentueux et incomparable Ben Daouda Sylla. « BDS » pour les intimes, N’Borè (mon ami, frère et confrère), et qui plus est, mon condisciple et compagnon de route des premières heures, « Kara matou Boun Daouda » comme je l’appelais affectueusement.
Ben l’artiste est parti comme il a vécu, sobrement, humblement, sans déranger ni importuner personne … Boun Daouda a tiré sa révérence en paix, avec lui-même et avec les autres, conscient et convaincu d’avoir accompli avec honneur et fierté, rigueur et abnégation sa part du boulot dans le combat pour l’éclosion d’une presse responsable et professionnelle et surtout pour le renforcement et la préservation de la liberté d’expression et d’opinion en Guinée.
Et comme il fallait s’y attendre, l’annonce de ton décès Ben, fut une triste, atroce et bouleversante nouvelle pour tes fans et admirateurs. Elle avait eu une résonnance de coup de massue pour nous, tes proches amis et condisciples. Ta disparition subite, alors qu’au bout du fil, ou toutes les fois qu’on passait s’enquérir de ton état de santé sur ton lit de malade, ton sourire éternel qui irradiait ton visage, assorti de ton discours rassurant… ton rappel à Dieu Ben Daouda, nous laisse sans voix.
Longtemps sous le choc, j’ai eu de la peine à prendre la plume. Le cœur étreint de peine et de compassion, l’esprit chamboulé aujourd’hui encore et pour toujours, par le déferlement de souvenirs impérissables de ces moments mémorables et magiques passés ensembles au balbutiement de notre jeune carrière dans ce métier passionnant de journalisme. Aujourd’hui, plus qu’hier et pour toujours, les instants inoubliables passés dans ta demeure de Boulbinet « érigée en salle de rédaction » où ta célèbre et chère grand-mère nous choyait en s’occupant de nous comme des petits princes, tournent et reviennent en boucle dans ma mémoire.
Il était là, avant nous tous ! Le pionnier Ben Daouda.
Non … mon cher BDS ! Ce n’est pas sur la pointe des pieds, tout en douce, sans alerter personne, comme à ton habitude, que tu vas nous fausser compagnie ! Toi, le pionnier, grand baroudeur devant l’éternel, ce premier normalien qui a déblayé le chemin à toute la cohorte de jeunes universitaires (sortants de Maneah) venue à la fin des années 80 début 90 prêter mains fortes aux grands serviteurs de la maison mère, la RTG.
Oui ! Je témoigne et je l’atteste que tu étais là, bien avant nous tous. Correspondant de presse universitaire de radio Guinée, tu avais déjà bien avant succombé à passion du micro sur les bancs, au Lycée à Kaloum, narrant les chaudes ambiances des rencontres inter quartiers, signant des articles et reportages au sein de la presse universitaire à la FASSONAT de Donka et plus tard dans la gazette de l’ENSUP à l’Ecole Normale Supérieure de Manéah. Aux côtés d’étudiants brillants, aux esprits éclairés et passionnés comme Manaf Diallo, Fof le percutant, Thierno Aliou Diaouné, Malien, Michel Soumah, Faras, Foly, Lamine Sow, Sekou Nfaly Oularé, Mamadou Saliou Karissy, Ousmane Bangoura, Koly, Aboubacar Sampil, Sidy Diallo, autres Kaiser et Diaré … tu contribuais à animer et enflammer les débats interminables sous le manguier, oh ! Combien de fois, enrichissants de « l’Agora de Maneah » ; une grande enceinte du savoir distillé alors par d’éminents professeurs, ce grand théâtre qui t’a forgé, façonné et préparé à ta brillante carrière accomplie.
Oui ! Je puis témoigner, que depuis Manéah, et par ton mérite, tu avais déjà pu disposer du « sésame d’accès » à Radio Guinée. Ta réussite avec panache en tant que stagiaire a permis ainsi d’ouvrir grandement « les portes » de Radio Guinée à la cohorte d’universitaires normaliens ; ce groupe de jeunes ambitieux et passionnés (Alpha Kabinet Doumbouya, Cissé Aboubacar, Yamoussa Sidibé, Alhassane Diogo Barry, Saikou Baldé, Amadou Diallo Voltaire, Doura, Issiaga Konaté, Campell Konate, Almodiak, Nestor Sovogui, Abdourahmane Diallo et nous-même, Ibrahima Ahmed Barry) qui viendront par la suite, t’épauler afin de porter haut, les couleurs et l’étendard de la Radiotélévision Guinéenne, alors en plein chantier du renouveau.
Cette génération « cru exceptionnel » que la RTG a connu dans son histoire récente, accueillie, couvée et encadrée par des mentors exceptionnels (Mamadou Diabaté, Boubacar Yacine Diallo, Cheikh Fantamady Conde, Alpha Kabinet Keita, Ibrahima Barry, Mohamed Lamine Cherif Aldo, Boubacar Bah Mao, Cheik Sylla, Ansoumane Bangoura, Doura DZ, Almamy Laye Soumah, Mohamed Tondon Camara, Justin Morel Junior, Maimouna Diallo, Saran Toure, Aissatou Bella Diallo, Madina Bah, Mbaye N’Diaye Black, Odilon Théa, Elhadj Alpha Soumah…) ; cette génération dorée de Manéah, te doit cette fière chandelle, mon grand !
A la vérité, avec la disparition de Ben Daouda Sylla, c’est une partie de moi qui s’en va … Car, tu fus pour moi, un complice, un confident, un ami …un vrai, qui m’a ouvert le chemin vers ce métier : le journalisme. Tu m’as inspiré et encouragé, guidé et soutenu dans un milieu où rien ne m’y prédestinait. En le côtoyant, suivant allègrement les pas ce premier des mohicans, éclairé par son expérience et conforté par son vécu et son carnet d’adresse, il a su nous motiver afin que nous croyions en nous et en nos qualités, toute chose qui nous poussera à faire le saut dans le grand bain de la presse audiovisuelle publique en Guinée.
Une carrière exceptionnelle, un parcours hors norme à plein temps …
Présentateur à la voix sublime, journaliste à la diction parfaite, au souffle constant, rédacteur à l’écriture simple et aérée, BDS a su donner une âme et un style percutant aux bulletins de Radio Guinée. Il est le géniteur de midi info … ce journal chatoyant qui brossait l’actualité, les dimanches, jour consacré au « Magazine hebdo » de la rédaction. Une édition agrémentée par le florilège « des petites phrases de la semaine »… des extraits sonores, courts, percutants, captivants et mémorables qu’il préparait soigneusement tout au long de la semaine. Ce travail minutieux de BDS a été une mine d’or pour les archives sonores de la RTG.
Journaliste oui ! Ben était aussi un artiste. Innovateur dans l’âme, l’homme attaché à la liberté de presse et d’opinion a voulu par un canal novateur, se faire échos de l’actualité au plurielle en citant des articles et gros titres parus dans les journaux critiques tels que le lynx, l’indépendant, les échos, l’œil…. Ben Daouda Sylla créera et animera à cet effet, le créneau osé » revue de presse ». Il s’est battu corps et âme pour introduire cette rubrique sur les antennes de radio Guinée en dépit des résistances et oppositions de l’époque. Cette rubrique prisée est aujourd’hui un patrimoine des programmes de la RKS de Boulbinet.
Que dire de ses titres incisifs et percutants pour annoncer son journal ? combien de fois, il avait été apostrophé pour la poigne de ses titres jugés pas conformes à la ligne éditoriale ? Beaucoup d’anciens peuvent le témoigner. A l’image de Ben Daouda Sylla « le libéral », l’insaisissable pour ne pas l’anti conformiste, la nouvelle génération de jeunes journalistes échappaient disaient on, à la « normalisation » des articles dans les rédactions.
Audacieux et téméraire, courageux et intrépide …l’homme s’assumait et croyait au destin, à son destin….il ne s’est jamais victimisé ou baisser les bras devant l’adversité et les coups bas. Faut-il le rappeler, l’homme est resté 10 ans, sans salaire et sans broncher. Droit dans ses bottes, inflexible à ses convictions, contre vents et marrées, ne cédant à aucune forme de tentation ou de pression, il est resté et demeuré un homme fier et modeste, humble, courtois, se contentant du peu…. il n’avait de boulimie que pour « la nourriture de l’esprit » : la quête de l’information et du savoir. Oreille collée au transistor, grillant mèche sur mèche, Kara matou Boun Daouda … ne ratait aucune édition des grandes stations internationales …RFI, BBC, DEUTSCHE WELLE, Africa No 1 qui l’a propulsé sur le toit du continent … Il était le « « télégraphe de Manéah, le « télescripteur » de la RTG. Mamadouba Soumah Tessema l’inamovible « Secrétaire Général de la rédaction à Radio Guinée » en sait quelques choses.
BDS, un homme qui a vécu, par et pour la presse … sa passion !
Bourreau du travail, Ben Daouda Sylla n’avait pas de week-end à lui, jamais pris de congé, en ma connaissance….le fils des îles a consacré sa vie à sa passion, son hobby, sa drogue : le micro, dont il a rêvé à bas âge. La rudesse de la profession et la flamme du métier ont consumé à petit feu sa vie, débordante d’énergie. Il a vécu pleinement sa passion, sans répit ni repos, parce qu’il savait, qu’il y aura un jour, le temps du repos éternel du guerrier de la presse…le temps de laisser son nom à la postérité et pour l’éternité.
Ben était aussi et surtout, un homme bourré d’anecdotes et de blagues irrésistibles…Issatou et Rika Ben Mady ses épouses éplorées peuvent en témoigner…Kassa guèrè… waaalou Nkha teee, l’escapade de nyokhoroya Manéah… chaque fois qu’on se rencontrait à Boulbinet, à Dixinn, dans les locaux de la RTG ou ailleurs, en ville, au gré des évènements et circonstances…c’était des éclats de rires, un rappel des souvenirs de condisciples qu’on égrenait comme un chapelet… nos tranches de vies saines, sincères et dépoussiérées de toutes considérations. Parce qu’en fait, BDS était au-dessus de la mêlée, il n’appartenait à aucune chapelle. Il détestait les considérations ethniques, régionalistes, politiques ou religieuses. Ben était un Guinéen entier et convaincu, un insulaire humaniste, sincère, franc, honnête et loyal.
Promu Directeur de la RKS de Boulbinet, Ben Daouda Sylla a su exhumer le patrimoine et la monographie du pays …. Son émission, portant sur les noms et histoires des villes et villages … les rites et traditions de Guinée a éclairé la lanterne de plus d’un auditeur. Son rêve, me confiait-il, c’était de faire monter sur le bouquet canal satellite, le signal de la RTG Boulbinet afin de faire rayonner la production de la station de proximité dont on lui avait confié les charges.
Saviez-vous qu’il s’était par ailleurs investi à fond pour l’installation et le fonctionnement de la Radio Rurale sur les iles de Kassa ? Une de ses satisfactions personnelles qu’il m’a toujours confiées, la Radio de Kassa pour le bonheur des insulaires de kassa, room, soro et fotoba.
Arrivée il y a moins de deux (2) ans à la tête de l’AGP, l’Agence Guinéenne de Presse, Ben Daouda Sylla avait vite posé son emprunt, engageant dans la foulée le processus de digitalisation de la structure. Grâce à Ben, l’AGP est aujourd’hui sur la toile. Même sur son lit de malade, témoignait un de ses proches, il coordonnait la rédaction de l’agence de presse dans les préparatifs de la couverture des élections présidentielles du 18 octobre 2020. Il a été au front jusqu’ à son dernier souffle, laissant derrière lui, trois (3) adorables filles et deux veuves inconsolables.
Immortaliser l’artiste, le journaliste … BDS !
Maintenant qui tu as rangé ton micro et déposé ta plume alerte pour toujours ; maintenant que tu as accédé au panthéon de la presse nationale, j’espère du fond de mon âme que la foule de fans, le collège des pairs et la Guinée qui tu as fièrement et vaillamment servi saurons t’immortaliser au-delà des témoignages vibrants et éloquents à ton endroit lors du symposium organisé par le Département de la Communication à Boulbinet. Aller au-delà des mots en posant des actes et des symboles !
En attendant un jour, que la maison mère « la RTG » ne pense immortaliser la longue liste de ses illustres journalistes et techniciens disparus sur le front du combat médiatique, en faisant porter leurs noms à des studios de production ou des salles de rédactions, ou que des Guinéens (mécènes ou philanthropes) ne le fassent à travers des espaces culturels ou de presses, des prix, trophées ou par le biais d’une fondation …. En attendant des initiatives novatrices et louables de ce type, nous suggérons humblement que le Quartier de Boulbinet que Ben Daouda Sylla a tant aimé et côtoyé (nonobstant sa notoriété) durant toute sa vie, lui rende la monnaie…en baptisant sa rue contiguë au « banc bleu » : Rue : BEN DAOUDA SYLLA, le GRAND. Ainsi, on n’oubliera pas de sitôt qu’à Boulbinet, le célèbre village des pêcheurs, un grand homme, un professionnel émérite a vécu ici, parmi les siens, avec fierté, loyauté et humilité.
Benito ! Tu as quitté le monde des vivants certes, mais ton souvenir d’homme ouvert et les traces indélébiles du professionnel sérieux et rigoureux que tu as été, resteront à jamais gravés dans nos mémoires. Repose en paix « le fils des îles » ! Adieu Mborè !
Ibrahima Ahmed BARRY, Journaliste Consultant, Ancien Directeur Général de la RTG, condisciple de Ben Daouda Sylla.