RDC: l’opposant Tshisekedi s’est éteint à Bruxelles, des tensions éclatent à Kinshasa
Etienne Tshisekedi wa Mulumba, l’un des plus farouches opposants Congolais après avoir été un temps compagnon de route du Maréchal Mobutu Sese Seko est décédé mercredi à Bruxelles, à l’âge de 84 ans. Plusieurs dizaines de partisans de l’opposant historique congolais Étienne Tshisekedi étaient bloqués mercredi soir au siège de son parti, l’UDPS, à Kinshasa, dans une atmosphère rendue difficilement respirable par des tirs de grenades lacrymogènes. Selon une journaliste de l’AFP sur place, la police a tiré plusieurs grenades lacrymogènes après 21H30 (locale et HB) et la tension est montée à l’extérieur du bâtiment entre forces de l’ordre et une centaine de partisans de Tshisekedi qui s’étaient réunis pour pleurer leur héros peu de temps après l’annonce de sa mort.
Selon Félix Tshisekedi, son fils interrogé par Jeune Afrique, il aurait succombé à une embolie pulmonaire.
Né le 14 décembre 1932 à Kananga, ville située à 800 km au sud-est de Kinshasa, dans le Kasaï occidental, M. Tshisekedi a été le premier Zaïrois à être diplômé docteur en droit de l’université de Lovanium de Kinshasa. Il a débuté sa carrière politique comme membre du Mouvement national congolais Kalonji (qui avait quitté la formation dirigée par le premier président du Congo ex-Belge, Patrice Lumumba).
Nommé ministre de la Justice de sa province en 1961, il deviendra ministre de l’Intérieur en 1965 et des Affaires coutumières à l’avènement de M. Mobutu dont il a été le compagnon de route au sein du Mouvement populaire de la Révolution (MPR), l’ancien parti d’Etat du Zaïre, jusqu’en 1980, date de la rupture entre les deux hommes.
Durant cette période, M. Tshisekedi a été notamment premier secrétaire national du MPR de 1968 à 1972. Il a également été président de la commission de politique générale du bureau politique de cet ancien parti unique et ambassadeur du Zaïre au Maroc en 1969. Il fut aussi président de la compagnie aérienne nationale, Air Zaïre.
M. Tshisekedi a également été par trois fois député à l’Assemblée nationale zaïroise et a assumé les fonctions de vice-président de cette assemblée.
En 1980, M. Tshisekedi a décidé de prendre ses distances vis-à-vis du parti unique au pouvoir et de constituer, à l’intérieur du Parlement, un groupe d’opposition dit « des treize » qui s’est très rapidement attiré les foudres du pouvoir du maréchal Mobutu. Ensemble ces députés dénoncent alors dans une lettre ouverte, les dérives dictatoriales d’un régime kleptocratique.
M. Tshisekedi a ensuite créé l’Union pour la Démocratie et le Progrès social (UDPS) qui a tout de suite été interdit et dont de nombreux membres ont dû vivre en exil en Belgique et aux Etats-Unis durant près de dix ans pour échapper à la justice zaïroise.
Arrêté en 1982, il est condamné à 15 ans de prison pour « trahison » mais sera libéré un an plus tard à la suite des protestations d’Amnesty International et d’autres groupes de défense des droits de l’homme. Il sera encore détenu plusieurs fois par la suite et même transféré dans un établissement psychiatrique où les autorités ont tenté de le faire passer pour un malade mental.
Depuis le 24 avril 1990, date à laquelle le président Mobutu signala la fin du régime monopartiste pour ouvrir la voie à la démocratisation, M. Tshisekedi, qui à cette époque vivait en résidence surveillée dans la capitale après plusieurs séjours en prison, a pu recouvrer sa liberté de mouvement et poursuivre son action politique très dure vis-à-vis du régime. Il n’a en effet jamais hésité à traiter le maréchal Mobutu de « dictateur ».
Il fut nommé Premier ministre à quatre reprises dans les années 90 mais n’assuma cependant jamais plus que quelques mois ce rôle à la suite de conflit intenses avec le président Mobutu.
A l’issue de la deuxième guerre du Congo (1998-2003), M. Tshisekedi, qui a toujours prôné le combat politique non violent, refuse de participer au gouvernement de transition et campe, depuis lors, dans le rôle de l’irréductible opposant.
Mais comme sous Mobutu, les ponts avec le pouvoir sont loin d’être tous coupés.
En 2007, peu après l’élection de Joseph Kabila, il quitte le pays à bord d’un avion médicalisé pour ne rentrer que fin 2010 en vue de participer à la présidentielle à venir, après avoir boycotté celle de 2006.
Battu en novembre 2011 à l’issue d’un scrutin entaché d’irrégularités massives, « Tshitshi », comme l’appellent nombre de ses sympathisants, refuse de reconnaître la légitimité de M. Kabila et se proclame « président élu » avant de s’enfermer dans une politique de boycottage des institutions qui va profondément affaiblir son parti, l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), dont il reste le président inamovible.
En août 2014, il est évacué une nouvelle fois de Kinshasa vers la capitale belge. Il ne reviendra que fin juillet 2016 pour être accueilli triomphalement par des centaines de milliers de personnes.
Au cours des derniers mois il s’était à nouveau profilé comme l’incontournable chef de file de l’opposition à l’occasion de la crise relative au refus de Joseph Kabila de quitter son poste de président.
S’il refuse de participer en septembre au « dialogue national » proposé par M. Kabila le « Sphynx » finit par donner son aval à la participation de l’UDPS aux négociations ayant débouché sur l’accord du 31 décembre, qui consacre le maintien au pouvoir du chef de l’État au-delà du terme de son mandat. Il devait prendre la direction du Conseil national transition qui est appelé à voir le jour sur base des accords de la Saint Sylvestre dont la mise en place bute sur des questions de partage du pouvoir.
Etienne Tshisekedi, qui sous des airs bonhommes cachait un caractère entêté, autoritaire et imprévisible, avait quitté Kinshasa au beau milieu des négociations la semaine dernière pour ce qui était annoncé être des contrôles médicaux.
Reynders: « Une figure marquante de la RDC pendant plusieurs décennies »
« Une figure politique marquante de la République Démocratique du Congo durant plusieurs décennies s’est éteinte aujourd’hui », a déclaré mercredi soir Didier Reynders, ministre des Affaires étrangères, à la suite de l’annonce du décès d’Etienne Tshisekedi. Le ministre a présenté ses condoléances à la famille du défunt au peuple congolais.
« Le dernier combat d’Etienne Tshisekedi pour le respect de la Constitution et de la démocratie a abouti à la conclusion de l’accord de la Saint-Sylvestre. La Belgique s’associe à la population congolaise dans sa douleur et dans son souhait de voir cet héritage du Président du Rassemblement porter ses fruits et être mis en œuvre », souligne encore M. Reynders.
Louis Michel: « un visionnaire, une figure emblématique forte »
« Son décès nous enlève un visionnaire, une figure emblématique forte profondément attachée sa région, le Kasaï et à son pays », a déclaré Louis Michel, député européen et ancien ministre des Affaires étrangères qui estime qu’Etienne Tshisekedi était un « défenseur acharné de la démocratie qui a mis tout son savoir, tout son savoir-faire et tout son savoir-être au service de son pays ».
« Avec le décès du président de l’UDPS, c’est une personnalité hors norme, un homme de convictions (…) reconnu pour sa cohérence politique, entièrement dévoué à son pays qui disparaît. Sa connaissance de l’être humain, sa popularité, sa sémantique percutante faisaient de lui un adversaire politique qui suscitait l’adhésion », souligne Louis Michel.
« Doté d’une intelligence supérieure, cet optimiste de la volonté, ce tribun dont la popularité ne s’est jamais démentie forçait le respect. Jouant un rôle clé dans les négociations actuelles, il était appelé à de hautes fonctions dans le gouvernement de la transition », estime-t-il encore.
Belga