Le développement économique en Afrique: la mobilisation des ressources intérieures et l’Etat développementiste (Par Dr Nasser Keïta)
Dr Nasser Keïta est un éminent économiste en service à la Banque centrale de la République de Guinée (BCRG). Cette semaine, il s’est intéressé au développement économique en Afrique…
Nous allons entamer notre conversation économique du jour par une citation assez récente d’un Grand Homme d’État Africain, cette citation ouvre le chemin vers la libération de la servitude volontaire dont nous avons tant rappelé dans nos précédentes publications scientifiques à l’égard des économistes Africains, voici la citation :
« Nous attendons que le Fonds Monétaire International (FMI) réfléchisse à notre place alors que, c’est à nous de réfléchir et aller vers le FMI… »
Alors, au vu de cette citation, nous allons aborder cette discussion sans complaisance sur les économies africaines en générale.
Les pays africains ne retrouveront le véritable chemin du développement que lorsqu’ils seront capables de trouver le moyen de se prendre en charge au plan scientifique en spécifiant de véritables modèles adaptés aux structures économiques de leurs pays.
À chaque publication, nous fessons notre part du travail, notre contribution pour sortir ces peuples de l’ornière, de la précarité, de la pauvreté relative et la déchéance des revenus.
Dans cette publication, nous allons aussi essayer de démocratiser le débat économique, car, nous n’écrivons pas que pour les intellectuels, nous écrivons aussi pour les néophytes, pour ceux qui ne sont pas économistes afin de mieux digérer les politiques publiques des gouvernements africains, nous avons la rage de faire apprendre à toutes les couches sociales de ces pays, l’économies et ses contours.
LA PROBLÉMATIQUE DU DÉVELOPPEMENT
En Afrique la crise économique s’est accentuée au fur et à mesure que les politiques de développement ont été mises en œuvre (nationalisation, désengagement de l’Etat, privatisation, ajustement structurel, etc.) Au point que la lutte contre la pauvreté est devenue un objectif pour les Etats, qui il y a quarante (40) ans se disaient en voie de développement. Il urgeait alors de comprendre et d’agir sur les raisons de cette interminable descente aux enfers, tant ses implications sont à la fois
Multidimensionnelles et désastreuses. Pour l’Etat ce combat économique pour l’amélioration des conditions de vie de ses populations était donc une condition sine qua non dans cette quête de légitimité. Là encore, s’est opéré une redécouverte du territoire local. Aujourd’hui, le consensus est fait sur la fonction économique du local à la fois comme échelle pertinente de planification du développement et comme cadre de mobilisation et de gestion des ressources et de la productivité.
C’est aussi certainement la raison pour laquelle les gouvernements dans leurs stratégies de réduction substantielle de la pauvreté compte fondamentalement sur les CL(collectivités locales) pour la création de richesses et pour relever la quantité et la qualité de l’offre de services et d’équipements sur l’ensemble des territoires locaux.
Voici quelques défaillances au niveau des systèmes financiers :
un faible taux de recouvrement des ressources financières des collectivités locales ;
la méconnaissance de leur potentiel fiscal ;
la faiblesse des services publics locaux ;
une absence de programme en matière de politique de recouvrement ;
une mauvaise définition de l’assiette fiscale entre autres.
A cela s’ajoute l’incivisme fiscal qui constitue en plus une entrave à la fiscalité locale dont la mal gouvernance peut être à l’origine. Il est avéré que le budget des collectivités locales est dérisoire car les recettes permettent de couvrir justement le fonctionnement. Ce qui nous amène à dire que l’investissement est dérisoire voire nul. Dans le paiement des impôts et taxes on enregistre un certain laxisme à l’égard des contribuables. Les raisons qui sont avancées par rapport à l’incivisme fiscal sont de plusieurs ordres. Pour certains contribuables, c’est le problème de la mal gouvernance qui est pointé du doigt. Ils estiment qu’il ne sert à rien de contribuer s’il n’y a pas une répercussion sur les contribuables. En d’autre terme il n’y a pas de visibilité dans l’action du gouvernement. D’aucuns fustigent le niveau élevé des impôts et taxes. C’est comme si cette expression « non rimbé in bis » qui veut dire on ne peut pas taxer une chose pour deux (2) fois ne fait pas partie du vocabulaire des services en charge. En outre, il mérite de signaler aussi les retards dans l’envoi des avis d’imposition et les oublis. In fine, on ne saurait négliger le fait que plus les habitants verront les réalisations concrètes de la collectivité, plus ils seront enclins à payer l’impôt, car ils en percevront l’intérêt. A l’inverse, des luttes d’influence ou des désaccords entre divers groupes sociaux internes ou externes aux collectivités pourront conduire à des grèves d’impôt.
L’ANALYSE DES CONCEPTS
II.1 LA FISCALITÉ :
Le terme fiscalité désigne le système d’après lequel les impôts sont perçus. Il vient du mot fisc qui à son tour dérive du mot latin fiscus. Ce mot désignait le panier destiné à recevoir l’argent. Le fisc désigne aujourd’hui l’ensemble des administrations chargées de fixer l’assiette, le taux, de répartir les impôts et de les percevoir. De façon extensive, il désigne l’Etat titulaire du droit de puissance publique, le pouvoir de contrainte sur le contribuable. Le vocable fiscal se dit d’une chose relative aux impôts. Le système fiscal est l’ensemble des lois, des mesures relatives au fisc, à l’impôt ; il est synonyme de droit fiscal qui est la branche du droit public relative à l’assiette (ce qui est imposable), à la liquidation et au recouvrement des impôts et taxes de toute nature.
Le droit fiscal est aussi considéré comme la branche des finances publiques qui régit cette activité particulière de l’Etat consistant à procurer aux collectivités publiques dont lui-même des ressources financières définitives grâce à un prélèvement autoritaire et sans contrepartie. Le Droit fiscal local pose plusieurs problèmes, tous délicats.
D’abord, un problème d’autonomie ; ainsi, certaines questions méritent d’être posées : la fiscalité locale doit-elle être indépendante de celle de l’Etat ? avec la politique de décentralisation qui voudrait que le développement se fait à la base à travers la responsabilisation des CL. Les CL doivent-elles se satisfaire de la liberté d’affecter et d’utiliser leurs ressources fiscales ou doit-on leur accorder la liberté de les créer elles-mêmes ; bref, doit-elle disposer d’un pouvoir fiscal local ? le constat c’est que le système fiscal tel qu’il est établi ne semble pas donner aux CL une
autonomie dans leur gestion et encore moins impulser le développement local. Et la logique voudrait qu’elles aient la liberté de créer leurs propres ressources fiscales si l’on sait que chaque collectivité a ses spécificités, ses potentialités qu’elle peut exploiter pour en tirer profit. Pour appuyer notre argumentaire nous donnons un exemple banal notamment sur la TRIM et l’IMF. En effet, L’IMF est du au lieu de résidence habituelle et le niveau de recouvrement de cet impôt va dépendre de la capacité contributive des populations assujetties à cet impôt, alors s’agissant de la
TRIMF elle est retenue à la source, les salariés sont réputés domiciliés au lieu de l’établissement qui les emploie et les bénéficiaires de pension et rente viagère au lieu du domicile ou de l’établissement du débiteur. Ce qui semble dire que les collectivités qui abritent plus d’entreprises recevront plus de recettes au détriment de celles dont l’activité économique est au ralenti ou l’implantation d’entreprises est moins fréquente. Cela constitue dans une certaine mesure une source de disparité entre collectivités, qui est reprochable à une défaillance du système fiscal.
II.2 Le développement local
Le développement local est devenu de nos jours un concept à la mode. Non pas qu’il soit nouveau, au contraire, il recouvre des phénomènes identifiés depuis déjà fort longtemps selon les analystes. En effet, bon nombre d’experts ont tenté de donner une définition par rapport à ce concept qu’on a longtemps vécu sans qu’on n’en fasse attention jusqu’à aujourd’hui où il est au centre des débats et des rencontres internationales. Le développement local peut être défini comme étant « un processus de diversification et d’enrichissement des activités économiques et sociales sur un territoire à partir de la mobilisation, de la coordination de ses ressources et de ses énergies. Il sera donc le produit des efforts de sa population. Il mettra en cause l’existence d’un projet de développement intégrant ses composantes économiques, sociales et culturelles. Il sera un espace de contiguïté et un espace de solidarité. »
Bon nombre d’auteurs ont tenté de définir ce concept « développement local » mais il est admis que des idées partagées ont été émises sur le sujet. (Greffe 1984) (Gouttebel, 2001) (Pecqueur, 1989) (Tremblay, 1994) (Vachon, 1993) Ce qu’on peut retenir dans leur tentative de définition c’est qu’ils ont des points communs qui peuvent être énumérés ci-dessous : Il n’y a pas de modèle unique de développement local; le développement local comporte une dimension territoriale; le développement local s’appuie sur une force endogène; le développement local fait appel à une volonté de concertation et la mise en place de mécanismes de partenariat et de réseaux ; il intègre des dimensions sociales aussi bien qu’économiques l’approche du développement local implique aussi une stratégie participative et une responsabilisation des citoyens envers la collectivité. Il nous semble très important d’insister sur la dimension territoriale qui constitue un aspect très important car l’espace local offre la possibilité d’inventer et de mettre en application de nouveaux modes de gestion participative et légitime des affaires publiques nécessaires tout simplement au développement. L’échelle locale est également le niveau idéal pour d’une part la création de richesse endogène et l’amélioration des conditions de vie des populations, et d’autre part la prévention et la régulation des conflits inhérents à toutes les sociétés en mutation.
II.3 La gouvernance locale
La notion de gouvernance recouvre de nombreuses significations, comme en témoigne la diversité des termes auxquels elle se trouve associée : on parle de gouvernance locale, urbaine, régionale, européenne. De plus, la notion n’est pas l’apanage des scientifiques puisqu’elle est l’objet de discours d’experts, mais aussi de discours politiques (la « bonne gouvernance »). La gouvernance, c’est l’art d’une société d’inventer et de mettre en œuvre la manière de se gérer, pour assurer cohésion et bien être en son sein, sécurité à l’extérieur et équilibre entre elle et son environnement.
En effet, au travers de cette définition proposée par l’Alliance pour refonder la gouvernance en Afrique on peut affirmer que le débat sur la Gouvernance locale s’articule aujourd’hui sur les rapports entre les pouvoirs locaux et la société civile et notamment la participation des citoyens à l’action publique, par l’intermédiaire de la consultation ou de la concertation dans un contexte de profondes mutations et l’éveil certain des populations. Sous un autre vocable de la « gouvernance légitime » qui voudrait dire que nos pays doivent collectivement concevoir et mettre en place une gouvernance dans laquelle les différents acteurs se reconnaissent et qui répond à leurs aspirations. Elle postule donc l’adhésion de tous à un système de gouvernance qui permet, par ailleurs, la satisfaction des besoins matériels et immatériels des populations.
Cette vision novatrice propose une rupture avec la tendance actuelle des réflexions et des pratiques relatives à la gestion des affaires publiques. Ainsi, la légitimité ne se confond pas à la démocratie, et la vision de la gouvernance à construire dépasse la simple question de l’Etat, de la légalité et des ressources. Elle appelle des valeurs communes et un projet collectif spécifique qui permet la réalisation des aspirations diverses de tous et de chacun. En somme, il s’agit de construire « une gouvernance légitime qui est l’art de gérer les affaires publiques en les articulant à toutes les échelles de territoire, et d’exercer les pouvoirs au service du Bien Commun, avec l’adhésion et sous le contrôle de ceux sur qui s’exercent ces pouvoirs ».
1.Recettes publiques des pays en Développement
Méthode d’évaluation
L’Etat assure ses missions régaliennes en offrant des biens publics dans les meilleures conditions d’efficacité. Il a aussi pour mission de mettre en œuvre des politiques de stabilisation conjoncturelles. Enfin, il doit promouvoir l’équité à travers des politiques de redistribution.
Les dépenses nécessaires au financement des biens publics sont couvertes à travers plusieurs modes de financement : l’impôt, l’emprunt interne et extérieur, les dons pour les pays les plus pauvres et enfin, les recettes de seigneuriage2. L’impôt est à l’origine de distorsions économiques croissantes avec son niveau ; les distorsions varient aussi selon la structure du prélèvement public. La condition de solvabilité des finances publiques exige comme contrepartie de l’emprunt des recettes publiques futures. Les dons dépendent de décisions prises par la communauté internationale. Enfin les recettes de seigneuriage peuvent engendrer de l’inflation.
Les gestionnaires des finances publiques ont à dégager la meilleure combinaison possible entre les différents moyens de financement des biens publics (Chambas et alii, 2006). Compte tenu des contraintes pesant sur les dons et sur les ressources de seigneuriage et aussi de la nécessité de recourir à des ressources fiscales ultérieures pour mobiliser de manière durable des emprunts, l’impôt constitue un moyen privilégié de couverture de la dépense publique (Conférence de Monterrey, United Nations, 2002).
Compte tenu de l’importance cruciale de l’impôt, il est nécessaire de l’évaluer de manière aussi pertinente que possible. L’évaluation du niveau des ressources publiques vise à répondre à deux questions :
*Quel est le niveau des ressources recouvrées par l’Etat par rapport aux ressources globales de l’économie ? Ces niveaux sont-ils marqués par une instabilité ? Les réponses passent par l’évaluation des ressources publiques effectives dans une optique comparative et par la construction d’une mesure de l’instabilité des ressources publiques.
*Le montant des ressources mobilisées excède-il ou non le potentiel fiscal ? On entend par potentiel fiscal d’un pays donné, le niveau de ressources publiques déterminé par ses caractéristiques structurelles. On interprète alors la différence entre les ressources effectivement mobilisées et le potentiel fiscal comme une mesure de l’effort fiscal. Celui-ci, contrairement au potentiel fiscal, reflète la volonté politique du pays en matière de prélèvements. La décomposition des ressources effectives entre composante potentielle et composante d’effort repose sur une méthode économétrique basée sur des estimations à partir d’un échantillon de panel (pays-années). L’article comporte donc deux parties. La première est consacrée au niveau et à l’instabilité des ressources publiques et la seconde au calcul et à l’analyse du potentiel et de l’effort fiscal.
Les recettes publiques globales évaluées à partir des flux effectifs
Le niveau des recettes publiques peut être apprécié relativement aux ressources produites dans un pays. L’analyse porte aussi sur l’instabilité des ressources publiques.
Le niveau des recettes publiques globales la construction du ratio de recettes publiques globales
Le taux de recettes publiques par rapport au produit intérieur brut, qui est le rapport entre les ressources propres de l’Etat et les ressources produites dans le cadre d’une économie, permet d’effectuer des comparaisons homogènes dans le temps ou entre groupes de pays.
Le concept de recettes publiques2 retenu recouvre l’ensemble des recettes fiscales et non fiscales du gouvernement central et des collectivités locales ; les prélèvements des organismes sociaux, en général très faibles dans les PED, sont également inclus.
La mesure des taux de recettes publiques soulève diverses difficultés relatives à l’évaluation des recettes publiques, du produit et enfin des ratios de recettes publiques par rapport au produit.
Evaluation des recettes publiques. Pour certaines recettes, les méthodes de comptabilisation diffèrent dans le temps et selon les pays.
1.Afin de mettre en place des procédures de contrôle, de nombreux PED émettent des titres de paiements en règlement purement comptable des droits et taxes exonérés, notamment dans le cadre de projets financés par l’extérieur. Aucune recette effective n’est perçue mais le montant des recettes est augmenté de façon comptable (opération pour ordre). Dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, les titres de paiements ainsi émis avoisinent ou dépassent 2 % du PIB (Chambas, 2005). Ces procédures ayant été introduites, pour la plupart d’entre elles, au cours des dix dernières années, il convient d’en tenir compte pour apprécier de manière cohérente des évolutions à moyen terme ou procéder à des comparaisons entre pays ou groupes de pays.
2.Une deuxième source de biais provient du traitement comptable des remboursements de crédits de TVA. Dans de nombreux pays, sont comptabilisées en ressources, les recettes brutes de TVA, alors que les remboursements de crédits de TVA sont traités comme une dépense. Ces remboursements peuvent atteindre des montants importants (environ de 1% du PIB). On surestime ainsi le montant véritable des recettes de TVA qui correspond au montant net (déduction faite des remboursements de crédits de TVA).
3.Le périmètre de comptabilisation des recettes publiques peut différer d’un pays à l’autre, voire d’une période à une autre : alors que les collectivités locales se développent dans les PED, leurs ressources ne sont pas systématiquement incluses dans l’évaluation des recettes publiques. De plus, l’offre de certains biens publics (pistes rurales en zone cotonnière, dispensaires, etc.) est parfois mise à la charge d’entités distinctes de l’Etat (organismes d’encadrement, groupements de producteurs) sans que les ressources affectées en financement soient comptabilisées au titre de la fiscalité alors qu’elles correspondent à un prélèvement fiscal de fait3. Enfin, des cotisations parfois importantes sont prélevées au profit d’entités (associations de parents d’élèves, associations diverses) qui contribuent à l’offre de biens publics. Fréquemment, les caractéristiques de ces entités sont proches de celles de collectivités locales ; les cotisations peuvent alors être assimilées à de la fiscalité.
L’évaluation du produit. Les difficultés d’évaluation d’un niveau de produit dans des pays en développement ne sont pas analysées ici : les activités non enregistrées (Schneider, 2003) et l’autoconsommation surtout en milieu rural sont à l’origine de biais importants et difficiles à réduire quelles que soient les méthodes d’évaluation retenues.
Evaluation des ratios de recettes publiques par rapport au produit. Le ratio recettes publiques par rapport au produit global correspond (cf. supra) au rapport des ressources publiques propres mobilisées au profit de l’Etat par rapport à l’ensemble des ressources produites dans une économie. Cependant, il convient de s’interroger sur la pertinence des ratios de recettes publiques évalués par rapport à des produits partiels, les plus courants étant le produit global hors activités minières ou encore le produit hors activités agricoles. Le choix d’un produit hors activités minières peut trouver sa justification dans le caractère d’enclave de ces activités, qui par ailleurs bénéficient d’exonérations fiscales souvent extensives.
4.Les sociétés d’encadrement ou d’intervention en milieu rural reportent tout ou partie de la charge sur les producteurs ce qui détermine la répartition de l’incidence de la charge du prélèvement. Cependant, les activités minières donnent lieu à une fiscalité spécifique (taxes à l’exportation, redevances diverses, versements de dividendes, royalties) qui sont comptabilisées dans les recettes publiques. De plus, les revenus distribués par les activités minières sont taxés au titre de l’impôt sur le revenu et donnent lieu à des consommations à l’origine de taxes indirectes (tarifs, TVA et droits d’accises). Aussi, pour construire des ratios significatifs par rapport à un produit évalué hors activités minières conviendrait-il d’exclure des recettes globales les prélèvements fiscaux et non fiscaux provenant de l’activité minière. Or, les données pour une telle correction ne sont généralement pas disponibles pour un large échantillon de pays. Les ratios de ressources publiques évalués relativement au produit non agricole soulèvent encore plus de difficultés. Le fondement de cette pratique repose sur l’exonération fiscale légale (cas du Maroc) ou l’exonération de fait (majorité des pays africains) dont bénéficient les activités agricoles. Les prélèvements fiscaux directs sur les activités agricoles sont faibles ou inexistants dans la plupart des PED, notamment en Afrique au Sud du Sahara. Cependant, les activités agricoles sont à l’origine de revenus monétaires et donc de consommations porteuses de recettes de fiscalité indirecte. Ce phénomène est particulièrement marquant les années de bonne récolte où on constate de fortes progressions des recettes fiscales indirectes (Chambas et alii, 2005).
L’analyse des taux de recettes publiques : comparaisons internationales
Les comparaisons sont réalisées en fonction de zones géographiques (Asie, Amérique Latine, Afrique et Moyen-Orient/Afrique du Nord) et selon le niveau de développement (pays les moins avancés, PMA ; pays à faible revenu, PFR ; pays à revenu intermédiaire, PRI). Les taux de recettes publiques sont similaires en Afrique au Sud du Sahara, en Amérique Latine et en Asie4 et stables dans le temps autour de 20 % du PIB. Les pays d’Afrique ne se distinguent donc pas des autres PED. Les taux de recettes publiques sont plus faibles pour les pays les plus pauvres (PFR et PMA). En moyenne, pour les groupes de pays distingués, les taux moyens de recettes publiques demeurent inchangés depuis le début des années quatre-vingt.
5.Le test non-paramétrique de Wilcoxon, qui permet de comparer des moyennes, n’infirme pas cette proposition.
L’instabilité des recettes publiques
Les pays les plus pauvres, en particulier les pays fortement dépendants des produits primaires, miniers ou agricoles, se caractérisent par une conjoncture économique instable qui détermine une instabilité des assiettes fiscales et donc du niveau des recettes publiques. L’instabilité des recettes peut être aggravée par la définition légale de certaines assiettes. Il en est ainsi de certains impôts sur la consommation : dans de nombreux PED, pour des motifs sociaux, les biens de base, dont la consommation est la plus stable, sont fréquemment exemptés d’impôt sur la consommation (TVA essentiellement). L’impôt est alors assis sur la partie la plus instable de l’assiette.
La mesure de l’instabilité des ressources publiques
L’instabilité est définie comme la succession d’écarts positifs ou négatifs par rapport à une tendance. La difficulté technique de la mesure de l’instabilité repose essentiellement dans la définition même de la tendance. La mesure retenue ici permet de tenir compte d’une tendance mixte composée d’une tendance déterministe, fonction quadratique du temps, et d’une tendance stochastique. En présence d’une tendance déterministe, les écarts par rapport à la tendance ont un caractère transitoire. Dans l’hypothèse où les taux de recettes ne subissent qu’un choc unique à un moment du temps, celui-ci n’influence pas la tendance. Par conséquent, les taux de recettes finissent par retrouver leur tendance initiale.
En présence d’une tendance stochastique, les écarts par rapport à la tendance ont un caractère permanent. Dans l’hypothèse où les taux de recettes ne subissent qu’un seul choc à un moment du temps, celui-ci influence la tendance de façon permanente. Par conséquent, les taux de recettes ne retournent pas vers leurs niveaux initiaux. L’équation suivante, estimée pour chaque pays et pour chacune des sous périodes, permet de tenir compte d’une tendance mixte.
pt = a + b t + c t2 + d pt-1 + εt
pt représente le taux de recettes à l’instant t. Une valeur unitaire du coefficient devant le taux de recettes retardé (d=1) indique la présence d’une tendance stochastique. L’instabilité est une moyenne arithmétique sur la période considérée du carré des résidus estimés : ( ) 2 ˆtε
Les recettes publiques globales évaluées à partir de l’effort fiscal
Le concept d’effort fiscal
Le concept d’effort fiscal permet d’apprécier dans quelle mesure les pays exploitent leur potentiel de recettes publiques. A cette fin, on distingue la part des ressources publiques déterminée par des facteurs structurels (sur laquelle les autorités ne peuvent agir à court terme et qui constitue le potentiel de recettes publiques ou potentiel fiscal) de la part des ressources publiques déterminée par la politique économique (effort fiscal). Un effort fiscal positif (politique économique déterminant un montant de ressources publiques effectives supérieur au potentiel fiscal) tend à signaler un potentiel de ressources pleinement mobilisé tandis qu’un effort fiscal négatif indique un potentiel de ressources sous-exploité. Un niveau donné de prélèvement effectif peut donc correspondre à des situations radicalement différentes pour l’exploitation du potentiel de ressources.
*Dans un premier cas hypothétique, les facteurs structurels déterminent un potentiel fiscal supérieur au niveau de ressources publiques effectives ; on a alors une situation d’effort fiscal négatif où la politique économique mise en œuvre est à l’origine d’une démobilisation fiscale. On peut penser qu’une politique économique plus favorable à la mobilisation fiscale devrait permettre le recouvrement de ressources publiques supplémentaires et ainsi de mieux exploiter le potentiel de ressources.
*Dans un second cas également hypothétique, les facteurs structurels déterminent un potentiel fiscal inférieur au prélèvement effectif (effort fiscal positif) et le niveau de ressource observé est en partie imputable à une politique économique favorable à la mobilisation fiscale. Il semble possible de penser que toute mesure de politique économique adoptée en vue de renforcer la mobilisation de ressources publiques se traduirait par une aggravation des distorsions économiques d’origine fiscale et par des effets sociaux indésirables. Dans une telle situation malgré un niveau de ressources publiques similaires à celui du premier cas, on doit conclure à l’absence d’un potentiel de ressource sous-exploité.
Les facteurs structurels des ressources publiques
Le potentiel fiscal est déterminé par un ensemble de variables structurelles. Parmi ces variables, on trouve le niveau de développement approché à travers trois variables : le produit intérieur brut par tête, l’origine sectorielle du revenu mesurée par la part de la valeur ajoutée agricole et enfin, le degré de monétarisation de l’économie mesuré par le ratio entre l’agrégat M2 et le PIB (Stotsky et Wolde Mariam, 1997). Il est en effet possible de supposer que plus le niveau de développement d’un pays est élevé, plus sa capacité à prélever des ressources est forte. Plusieurs explications peuvent être avancées. Du coté de la demande, l’élévation du niveau de développement entraîne un accroissement et une diversification de la demande de biens publics qui peut réduire la résistance des contribuables vis-à-vis de l’impôt. Du coté de l’offre, une élévation du niveau de développement accroît certainement la capacité contributive de l’économie. De plus, les capacités administratives, notamment en vue de lever l’impôt, s’améliorent probablement avec le niveau de développement, grâce à l’existence d’économies d’échelle dans l’administration de l’impôt et à un meilleur environnement (infrastructures de qualité, qualification des employés des administrations, niveau d’éducation de l’ensemble de la population). Le taux de prélèvement structurel est également positivement influencé par le taux d’ouverture commerciale (Agbeyegbe et alii, 2004). En effet, les transactions liées au commerce international constituent une assiette plus facilement taxable que les revenus ou les consommations intérieurs. L’effet de l’ouverture sur le potentiel fiscal est renforcé, pour certains pays, par une part élevée des produits miniers et pétroliers dans les exportations totales, car cette catégorie d’exportations peut donner lieu à des prélèvements substantiels sous forme de taxes ou de redevances. La méthode pour calculer l’effort fiscal consiste à estimer (tableau 3) une équation explicative du taux de prélèvement en fonction des variables présentées ci-dessus sur des données relatives à un large échantillon de pays et à une période de temps importante (données de panel sur 85 pays pour la période 1970-2003). L’estimation utilise les méthodes de l’économétrie des données de panel (effets aléatoires pays saisissant une hétérogénéité inobservée). Le résidu de l’équation permet alors de mesurer l’effort fiscal. Si on désigne par o le taux de prélèvement observé (ou effectif), sˆ le taux de prélèvement structurel et eˆ l’effort fiscal, on peut alors écrire : o=sˆ+eˆ.
Par construction, la moyenne des résidus (eˆ) pour l’ensemble de l’échantillon étant nulle, l’effort fiscal doit s’interpréter de manière relative. La norme de référence est constituée par un comportement moyen de l’ensemble du panel pays années retenu. Ainsi, pour un pays donné, un résidu négatif signifie donc que le pays considéré a un effort fiscal inférieur à la norme et inversement lorsque le résidu est positif. Enfin, si le résidu est nul, le pays consent un effort fiscal conforme à la moyenne de l’échantillon : une situation d’effort fiscal nul signale donc, non pas une politique fiscale défaillante, mais une politique de mobilisation fiscale présentant une efficacité similaire à la moyenne du panel.
PROCÉDURES ÉFFICACES POUR LA MOBILISATION DES RECETTES FISCALES DANS UN PAYS
III.1 L’épargne des ménages
En améliorant la mobilisation de l’épargne des ménages, on pourrait dégager un volume important de ressources en faveur du développement. En effet, l’épargne des ménages constitue l’essentiel de l’épargne en Afrique, mais elle n’est pas utilisée pour le moment, de façon suffisamment productive (Aryeetey et Udry, 2000). En comprenant pourquoi et comment épargnent les ménages, en particulier les plus pauvres d’entre eux, on pourra mieux définir les mesures propres à accroître le volume des ressources disponibles pour le développement.
Les ménages, surtout dans les zones rurales, ont des sources de revenu instables. Faute d’accès à des services de crédit et d’assurance, ils doivent compter sur ce qu’ils épargnent pour éviter de modifier leurs habitudes de consommation (Deaton, 1990; Dercon, 2002). L’épargne de précaution implique que, même avec un faible revenu disponible et en l’absence d’instruments d’épargne attractifs, les ménages pauvres sont forcés d’épargner une part substantielle de leur revenu. Au Ghana, par exemple, il a été constaté que dans les zones rurales du sud du pays le ménage médian épargnait plus de 30 % de son revenu (Aryeetey et Udry, 2000). Ce comportement de précaution est la motivation essentielle de l’épargne des ménages en Afrique. Selon des études concernant le Ghana, l’épargne financière n’augmente en parallèle avec le revenu que chez les 10 % de ménages les plus riches (Aryeetey, 2004). Cela laisse penser que, pour une grande partie des ménages, l’épargne est une forme nécessaire d’assurance individuelle. Cette observation a des incidences importantes, à la fois du point de vue de la structure de l’épargne ainsi constituée et du choix de type d’épargne effectué par les ménages. La structure de l’épargne des ménages a tendance à être irrégulière, avec de fréquents mouvements de balancier entre épargne et désépargne et avec une préférence pour les instruments d’épargne très liquides et accessibles (Deaton, 1990). Les instruments d’épargne à la disposition des ménages se répartissent en quatre catégories: épargne non financière, épargne financière informelle, épargne financière formelle et épargne financière semi‑formelle. Comme c’est la composition du portefeuille d’épargne des ménages qui détermine les fonds disponibles pour l’investissement, cet élément est important pour le développement d’un pays. En Afrique, l’épargne des ménages comprend essentiellement des biens matériels et un peu d’épargne financière placée dans le secteur financier informel. Seule une part restreinte de cette épargne est donc disponible pour des investissements productifs.
12 III.2 L’épargne non financière
Les ménages détiennent souvent des portefeuilles très diversifiés d’actifs non financiers, tels que cheptel, stocks de marchandises destinées à des transactions, céréales ou matériaux de construction, qui sont acquis comme des richesses et souvent achetés ou vendus afin de préserver des habitudes de consommation. Bien qu’il y ait peu d’informations à ce sujet, des études montrent que les avoirs des ménages dans les zones rurales sont constitués à 80 % environ d’actifs non financiers (Aryeetey et Udry, 2000).Le choix d’actifs non financiers comme instruments d’épargne dépend de divers facteurs. Certains de ces actifs, comme le cheptel, les biens immobiliers ou les bijoux, ont une valeur symbolique ou servent d’indicateurs du statut et/ou de la richesse. Mais l’accumulation d’actifs non financiers comme instruments d’épargne peut aussi résulter d’une décision de placement raisonnée dans un contexte combinant risque élevé, environnement financier incertain et la difficulté d’accès aux instruments financiers adéquats. Ainsi, si une certaine proportion d’actifs non financiers continuera probablement à figurer dans le portefeuille d’épargne des ménages dans les pays africains, une amélioration des services financiers en termes d’accès, d’adéquation et de fiabilité pourrait favoriser une augmentation de l’épargne détenue sous forme financière, les instruments financiers venant se substituer aux formes d’épargne non financières.
III.3 L’épargne financière informelle
Le secteur financier informel offre un large éventail d’instruments d’épargne, qui va de la simple collecte des dépôts jusqu’à d’importants groupements ou clubs d’épargne autogérés (Wright, 1999). L’épargne prend essentiellement la forme de dépôts modestes mais répétés, ce qui correspond aux besoins des ménages et des petites entreprises. Les problèmes d’accès et de fiabilité sont moindres que dans le secteur financier formel, dans la mesure où les organismes du secteur financier informel opèrent dans un cadre communautaire géographiquement et socialement bien délimité (Nissanke et Aryeetey, 2006). Contrairement à ce qui se passe dans le secteur financier formel, l’épargne du secteur informel génère rarement des intérêts. En général, les ressources mobilisées grâce à l’épargne du secteur informel ne sont pas utilisées pour d’autres investissements et ne procurent donc pas de rendement. Dans la plupart des cas, par conséquent, les déposants doivent payer les services d’épargne. Si l’on La mobilisation des ressources intérieures et l’État développementiste considère que les ménages pauvres épargnent quand bien même ils perçoivent l’équivalent d’intérêts négatifs, toute l’importance des services d’épargne pour ces ménages et toute leur volonté d’épargner apparaissent manifestement. En Afrique, les ménages combinent souvent plusieurs placements d’épargne auprès de différents organismes, qui offrent des conditions différentes pour les dépôts et les retraits. Ils peuvent ainsi mieux se prémunir contre le risque de non remboursement et mieux s’adapter à leurs besoins financiers (Wright, 1999).
III.4 L’épargne financière formelle
En Afrique subsaharienne, l’épargne détenue dans le secteur financier formel ne représente généralement qu’une faible proportion des actifs des ménages. Selon une étude portant sur le nord du Ghana, sur les 20 % d’actifs détenus par les ménages sous forme financière, 12 % sont détenus dans le secteur informel et 8 % dans le secteur formel (Aryeetey, 2004). Ces chiffres reflètent les difficultés d’accès aux instruments d’épargne formels et, surtout, la méfiance vis-à-vis des établissements financiers du secteur formel, ainsi que l’inadéquation entre les instruments d’épargne formels et les besoins d’épargne des ménages pauvres. Les banques sont le principal type d’établissements financiers du secteur formel engagés dans la mobilisation de l’épargne en Afrique. Dans certains pays, des bureaux de poste ont aussi été utilisés, compte tenu de leur vaste réseau. Plus récemment, les réformes du secteur financier dans beaucoup de pays africains ont conduit à une réduction du nombre d’agences bancaires du fait que les banques, dégagées de l’ingérence des pouvoirs publics, se sont concentrées sur les activités plus rentables et surtout en milieu urbain. Or, une présence accrue des banques dans les zones rurales pourrait aider à promouvoir l’épargne dans le secteur financier formel (Ikhide, 1996). L’éloignement physique des agences bancaires n’est pas le seul facteur qui limite la croissance de l’épargne financière dans le secteur formel. Le seuil minimum élevé qui est fixé pour les dépôts et pour le solde des comptes, le temps nécessaire pour effectuer les opérations et les procédures administratives que cela implique découragent également les épargnants. En outre, la réticence des banques à prêter aux ménages pauvres et aux petites entreprises n’encourage pas l’épargne dans le secteur formel (Wright, 1999). Mais il y a des signes encourageants, et la technologie devrait permettre de surmonter certains obstacles, comme l’éloignement et les coûts de traitement, qui freinent la fourniture de services dans les zones pauvres et rurales. Les systèmes de banque par téléphone mobile permettent aux banques de fournir des services financiers de base aux personnes démunies, y compris dans les zones rurales. Bien que de création récente, ces systèmes comptent déjà des milliers de clients dans des pays comme le Botswana, le Kenya et la Zambie (Honohan et Beck, 2007)2. Dans la plupart des pays africains, le degré de confiance dans les établissements bancaires est faible. En effet, les pouvoirs publics étaient largement impliqués dans l’activité des banques, surtout avant les récentes réformes du secteur financier, et comme la nécessité politique a souvent prévalu sur la viabilité commerciale les banques ont accumulé un énorme passif mettant en danger leurs activités. Entre le milieu des années 80 et le milieu des années 90, bon nombre de pays africains ont connu des crises du secteur bancaire. Il ressort de l’étude de Daumont et al. (2004) sur les crises du secteur bancaire dans 10 pays africains entre 1985 et 1995 que plus de 50 % des prêts bancaires étaient des prêts improductifs au Bénin, au Cameroun, en Côte d’Ivoire, en Guinée, en Ouganda, en Republique‑Unie de Tanzanie et au Sénégal, la proportion n’étant que légèrement inférieure au Ghana et au Nigéria. Dans beaucoup de pays, ces crises ont été suffisamment graves pour affecter profondément l’économie nationale. Au Bénin, par exemple, lors de la crise bancaire de 1988‑1990 les trois banques du pays se sont effondrées parce que 78 % des prêts qu’elles avaient accordés étaient improductifs, et cela a coûté à l’économie, selon les estimations, l’équivalent de 17 % du PIB. Ces crises bancaires en Afrique étaient dues essentiellement à la forte ingérence des pouvoirs publics, à une supervision et une régulation défaillantes du secteur bancaire et à des problèmes de gestion (Daumont et al. 2004).
Malgré les réformes, les banques n’ont pas sensiblement amélioré leurs portefeuilles de prêts, et elles n’ont pas regagné la confiance du grand public. L’épargne dans le secteur formel est placée en général sur des comptes de dépôt à court terme et la proportion de l’épargne placée dans des instruments de dépôt à plus long terme reste faible (Nissanke et Aryeetey, 1998).
III.5 L’épargne financière semi-formelle
Le secteur financier semi‑formel qui émerge en Afrique se spécialise dans la fourniture de services financiers aux ménages et aux petites entreprises qui n’ont pas accès aux services financiers du secteur formel. Ce secteur comprend La mobilisation des ressources intérieures et l’État développementiste des organismes qui, bien que légalement constitués, ne sont pas réglementés au même titre que les banques. Si ce secteur semi‑formel pourrait devenir important pour la mobilisation de l’épargne des ménages, sa couverture est encore trop limitée pour lui permettre de répondre efficacement aux besoins financiers de nombreux ménages en Afrique. Le secteur semi‑formel offre toutefois un grand potentiel pour mobiliser davantage l’épargne dans la région. En effet, si les organismes du secteur semi‑formel parviennent à proposer des instruments d’épargne sûrs et raisonnablement liquides qui procurent des rendements positifs à un grand nombre de ménages, il pourrait y avoir une augmentation substantielle de l’épargne financière utilisable pour des investissements productifs en raison de la réaffectation d’actifs financiers et non financiers actuellement détenus dans le secteur informel. En résumé, le choix de l’instrument d’épargne dépend de l’accessibilité, de la fiabilité et de la pertinence des instruments d’épargne disponibles pour répondre aux besoins des ménages en matière d’épargne. En Afrique, les ménages épargnent essentiellement par précaution. Les actifs qu’ils détiennent remplacent l’assurance et le crédit auxquels ils n’ont pas accès. Le schéma d’épargne ainsi créé se caractérise par une épargne irrégulière et à court terme, et où il peut y avoir, sur une période donnée, autant d’épargne que de désépargne (Deaton, 1990). Pour couvrir leurs besoins financiers, les ménages nécessitent donc des instruments d’épargne sûrs et autorisant des petites transactions à intervalles fréquents. La part très élevée des actifs non financiers dans les portefeuilles d’épargne des ménages laisse penser qu’à l’heure actuelle, le secteur financier ne répond pas comme il convient à ces besoins.
III.6 L’épargne des entreprises
L’épargne des entreprises a beaucoup moins mobilisé l’attention que l’épargne des ménages et elle reste généralement mal connue, notamment dans les pays en développement. Dans la plupart des pays africains, les données nécessaires pour désagréger l’épargne privée en épargne des ménages et épargne des entreprises n’existent pas. L’Afrique du Sud est l’un des rares pays d’Afrique qui dispose de données suffisantes pour permettre un examen détaillé de l’épargne des entreprises. Les éléments d’information disponibles à ce sujet laissent penser que l’épargne des entreprises dépend de l’évolution de leur rentabilité, de l’inflation, des taux d’intérêt et de l’offre de crédit (Aron et Muellbauer, 2000). Mais comme en Afrique du Sud le secteur des entreprises et le secteur financier sont beaucoup plus développés que ceux de la plupart des autres pays africains, il est très difficile de transposer ces constatations aux autres pays de la région. Dans la plupart des pays africains, les entreprises se répartissent en deux catégories bien distinctes: un petit nombre d’entreprises formelles et un grand nombre d’entreprises qui opèrent dans le secteur informel. Comme les informations disponibles sur les entreprises dans la région sont trop souvent focalisées sur la première catégorie uniquement, elles donnent une idée fausse de la réalité à laquelle la plupart des entreprises sont confrontées. Les grandes entreprises ont beaucoup plus de chances que les petites ou micro entreprises d’obtenir un crédit bancaire (Bigsten et al. 2003). Si l’accès à un financement et le coût de ce dernier sont problématiques pour la plupart des entreprises en Afrique, ils le sont d’autant plus pour les petites entreprises du secteur informel, soit la grande majorité des entreprises dans la région3. Les entreprises doivent donc compter sur leurs bénéfices non distribués pour financer non seulement leur fonds de roulement, mais aussi leurs nouveaux investissements. Les entreprises en Afrique subsaharienne financent entre la moitié et les trois‑quarts de leurs nouveaux investissements à l’aide de leur propre épargne (Nasir et al. 2003; Blattman et al. 2004; Banque mondiale, 2007b).
L’épargne des entreprises leur est donc indispensable pour leur sécurité et leur croissance. Face à un système financier qui ne répond pas à leurs besoins, les entreprises doivent compter sur leur propre épargne pour se prémunir contre les baisses temporaires de leurs recettes et pour financer leur développement. Il ressort de l’étude de Fafchamps et al. (2000) que, au Zimbabwe, les entreprises se constituent des stocks importants et ont recours dans une moindre mesure à l’épargne financière pour se protéger dans un environnement opérationnel risqué. Compte tenu du rôle crucial de l’épargne pour les entreprises, ces fonds ont très peu de chances d’être utilisés autrement. En effet, comme beaucoup d’entreprises ne peuvent pas se procurer de financement extérieur, leur épargne sera soit directement réinvestie dans l’entreprise, soit conservée sous forme très liquide afin d’être immédiatement disponible en cas de besoin. Ce financement des nouveaux investissements à l’aide des bénéfices non distribués peut être extrêmement efficace. Cette épargne constituée de bénéfices, La mobilisation des ressources intérieures et l’État développementiste non distribués, en effet, est surtout accumulée par des entreprises prospères et rentables, qui n’ont guère de raisons de choisir des investissements peu productifs. Il y a toutefois des raisons de penser que la situation actuelle en ce qui concerne l’épargne et les investissements des entreprises en Afrique est loin d’être optimale. Premièrement, le nombre élevé d’entreprises qui ont des difficultés à se procurer du crédit démontre que leurs bénéfices non distribués ne sont pas une source de financement suffisante par rapport à leurs besoins perçus (Bigsten et al,. 2003). En effet, les entreprises qui passent du stade de la micro entreprise à celui d’entreprise plus complexe sont proportionnellement moins nombreuses en Afrique que dans les autres régions (Nissanke, 2001). Deuxièmement, les investissements faits à l’aide de fonds propres peuvent être productifs, mais d’autres options d’investissement pourraient être plus rentables ou mieux adaptées aux besoins immédiats de l’entreprise. Enfin, faute de possibilités de crédit et d’assurance pour beaucoup d’entreprises, leur épargne doit être conservée sous une forme très liquide et ne peut donc pas être réinvestie facilement par le système financier dans des investissements productifs. Cette situation fait donc obstacle non seulement à la croissance des entreprises, mais aussi au développement du secteur financier. Un système financier mieux adapté aux besoins financiers des entreprises permettrait de réduire leur volume d’épargne constituée pour s’assurer contre d’éventuels risques. De ce fait, plus de ressources seraient disponibles pour financer des investissements productifs.
III.7 Les recettes publiques: l’impôt
Le niveau et l’efficacité des dépenses publiques sont des questions d’une importance essentielle pour que les ressources intérieures puissent devenir un moteur du développement en Afrique. Les ressources du secteur public ont, par rapport à l’épargne privée, un rôle distinct et complémentaire. Même si l’on peut faire une distinction entre les recettes publiques, qui couvrent les dépenses renouvelables, et l’épargne publique, qui finance les investissements à long terme, les besoins auxquels elles pourvoient dans les deux cas sont immenses dans la plupart des pays africains. Les dépenses publiques sont indispensables pour mettre en valeur le capital humain et elles permettent de financer les services publics essentiels tels que l’éducation et les soins de santé. Les investissements publics, de leur côté, peuvent procurer les ressources pour les infrastructures indispensables au développement du secteur privé. L’équilibre entre dépenses et investissements importe par conséquent moins que le niveau des ressources en cause et l’efficacité avec laquelle elles sont utilisées. Étant donné que l’impôt représente la quasi-totalité des recettes publiques dans la plupart des pays africains, une augmentation des recettes fiscales peut aider de façon significative à mobiliser davantage de ressources intérieures, à condition de ne pas décourager, dans le même temps, l’initiative économique privée. Le montant des recettes fiscales en pourcentage du PIB en Afrique était de 22 % en 2002 (Banque mondiale, 2005a), soit un chiffre inférieur à la moyenne pour les pays développés. Pour l’Europe/Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la même année le chiffre atteignait 32 %. La pression fiscale en Afrique, toutefois, est plus forte que dans d’autres régions en développement (Tanzi et Zee, 2000), même s’il y a des disparités considérables au sein de la région. Elle est en effet beaucoup plus faible en Afrique subsaharienne (20 %) qu’en Afrique du Nord (25 %). En outre, si l’on exclut l’Afrique du Sud, la part de l’impôt en Afrique subsaharienne ne dépasse pas 16 % du PIB (Banque mondiale, 2005a). Il y a aussi d’importantes disparités entre les pays de la région, puisque exprimée en pourcentage du PIB, en 2002 la pression fiscale allait de plus de 38 % en Algérie et en Angola à moins de 10 % au Niger, au Soudan et au Tchad (Banque mondiale, 2005a). Le ratio de l’impôt au PIB dans un pays est déterminé par un ensemble de facteurs structurels, principalement le revenu par habitant, le degré d’urbanisation, le taux d’alphabétisation, la part de l’industrie, de l’agriculture et des industries extractives et le niveau des échanges commerciaux (Tanzi et Zee, 2000).
En Afrique subsaharienne en particulier, il a été établi que les facteurs déterminants du ratio de l’impôt au PIB étaient essentiellement le revenu par habitant, le niveau des échanges commerciaux et la part de l’agriculture et des industries extractives dans l’économie (Stotsky et WoldeMariam, 1997). Le revenu par habitant reflète la capacité contributive de la population et il sert aussi d’indicateur du développement de l’économie en général. À ces deux titres, il a été constaté une corrélation positive entre le PIB par habitant et des ratios de l’impôt au PIB plus élevés. Bien qu’elles aient baissé ces dernières années avec la libéralisation du commerce, les impositions qui frappent les La mobilisation des ressources intérieures et l’État développementiste échanges commerciaux restent des sources de recettes importantes pour les pays africains. Il y a donc une corrélation positive entre le niveau des exportations et des importations et une pression fiscale accrue. La part de l’agriculture dans l’économie aurait, quant à elle, un effet négatif marqué sur le ratio de l’impôt au PIB. En effet, dans les pays africains, le secteur agricole comprend essentiellement de petits exploitants dont l’activité s’exerce dans le secteur informel et ne génère que de modestes revenus imposables. La part des industries extractives dans l’économie aurait elle aussi un effet négatif sur l’impôt, mais cet effet ne s’explique pas clairement (Stotsky et WoldeMariam, 1997). Pour comparer la fiscalité entre un pays et un autre, on peut notamment déterminer le niveau de pression fiscale qui peut être «attendu» dans un pays compte tenu des divers déterminants. Ce ratio de l’impôt au PIB attendu est ensuite comparé au ratio effectif, ce qui correspond à la notion d’effort fiscal. Il ressort des comparaisons de l’effort fiscal entre pays par Piancastelli (2001) que l’effort est plus élevé en Afrique que dans les autres régions, en dépit des faibles ratios de l’impôt au PIB qui y sont observés. Cela semblerait indiquer que, même
si ces ratios sont peu élevés en Afrique, ils sont supérieurs aux attentes compte tenu de la structure et du niveau de développement des économies africaines. Mais comme les mesures de la capacité contributive dépendent pour beaucoup du modèle utilisé pour déterminer le ratio attendu, ces mesures restent très limitées et n’ont qu’une valeur indicative. Des ratios de l’impôt au PIB élevés ne signifient pas nécessairement qu’un système fiscal est efficace. En fait, à travers la politique fiscale on détermine ce que l’État procure et à qui, comment les dépenses publiques sont financées et qui les paye (Addison et al. 2006). En tant que telle, cette politique s’inscrit au cœur du plus vaste problème de la mobilisation et de l’utilisation des ressources. Les recettes publiques devraient être mobilisées de telle manière que les acteurs du secteur privé restent incités à travailler et à épargner, et les objectifs d’un système fiscal optimal devraient être l’équité, l’efficacité et la simplicité administrative (Thirlwall, 2003). Dans le cadre des réformes fiscales qu’ils ont entreprises ces deux dernières décennies, beaucoup de pays africains ont considéré l’impôt comme un exercice technique et administratif, sans tenir compte de sa dimension politique. À travers ces réformes, essentiellement dictées par les donateurs, on a cherché à modifier la structure de l’impôt au profit d’impôts plus faciles à recouvrer et considérés comme ayant des effets de distorsion moindres sur l’économie, en général en privilégiant des impôts indirects comme la taxe sur la valeur ajoutée, en réduisant les taux des impôts directs tout en élargissant leur assiette, et en réduisant les impositions qui frappent les échanges commerciaux internationaux. Sur le plan administratif, les réformes ont été axées sur le renforcement de la capacité institutionnelle des administrations fiscales, en accroissant les effectifs et leur rémunération, en améliorant la formation et le matériel technique et en simplifiant les procédures. Ces réformes ont toutefois été d’une utilité limitée en termes d’accroissement des recettes fiscales des pays africains. Il est bien entendu indispensable d’améliorer, du point de vue administratif et technique, le système fiscal, en particulier en renforçant la capacité des administrations fiscales et en luttant contre la corruption. Mais en privilégiant exclusivement ces aspects, les réformes n’ont pas pris en compte le fait que l’impôt représente une relation de nature politique entre l’État et la société (DiJohn, 2006). Le faible niveau de recettes fiscales en Afrique est due en partie à des facteurs qui rendent plus difficile le recouvrement de l’impôt, notamment un revenu par habitant faible; un secteur agricole important; et un large rôle du secteur informel dans la production, le commerce et l’emploi, secteur qui selon les estimations représentait en 2001 78 % des emplois autres que dans l’agriculture en Afrique (Xaba et al. 2002). Ce faible niveau de recettes fiscales dénote aussi une relative faiblesse de l’État par rapport à certaines catégories de la société. La capacité contributive en Afrique est généralement fortement concentrée sur un petit nombre de particuliers et d’entreprises, qui parviennent souvent à échapper à l’impôt grâce à leur pouvoir et à leur influence. La majorité de la population, même si elle n’a guère de pouvoir politique ni d’influence, a en général une faible capacité contributive qu’il est coûteux de chercher à exploiter, en particulier dans les zones rurales (Fjeldstad et Rakner, 2003; Fjeldstad, 2006). En Ouganda, par exemple, seules les entreprises de taille moyenne paient généralement l’impôt. En effet, les grandes entreprises utilisent leur influence et leurs relations avec les autorités pour échapper à l’impôt, et les petites entreprises peuvent se soustraire à l’impôt en restant dans le secteur informel (Gauthier et Reinikka, 2006).
C’est, au bout du compte, la légitimité de l’État qui est au centre de la question de l’impôt. En appliquant les critères de l’efficacité, de l’effectivité et de l’équité non seulement dans le système fiscal mais aussi dans l’utilisation des ressources publiques, il peut être créé un cercle vertueux où recouvrement de l’impôt, services fournis et légitimité de l’État se trouvent renforcés. Selon une étude la mobilisation des ressources intérieures et l’État développementiste récente, en République-Unie de Tanzanie, par exemple, la grande majorité des personnes seraient prêtes à payer davantage d’impôts si ces ressources servaient à améliorer de façon manifeste les services publics (Fjeldstad, 2006). On voit donc que s’il est indispensable pour mieux mobiliser les ressources intérieures de réformer le système d’imposition, une telle réforme n’a guère de chances de succès s’il n’y a pas une évolution plus radicale des relations entre l’État et la société.
CONCLUSION
Si les autorités monétaires et budgétaires d’un pays se plaisent à contempler majestueusement l’effondrement du secteur réel de leur pays, il ne faut pas qu’ils s’y attendent à un miracle en provenance du ciel pour obtenir des recettes fiscales assez confortables afin de réduire les déficits ou obtenir les excédents pour leurs budgets.
Dans toute économie, les recettes sont positivement corrélées à la croissance, à l’activité économique. Si vous vous abstenez de financer votre économie par un mauvais arbitrage entre l’inflation et la croissance ou l’inflation et le chômage, ne soyez pas aussi surpris de voir également votre secteur réel se fondre comme une boule de glace sous le soleil avec toutes ses conséquences désastreuses sur votre budget.
Nous allons aborder quelques conséquences des erreurs de politiques économiques :
Assujettissement des consommations de base à la TVA. Impacts sur l’efficacité économique et l’équité
D’un point de vue théorique, l’assujettissement de l’ensemble des biens et services d’une économie à la TVA permet une grande neutralité économique de cet impôt puisque son effet est essentiellement d’augmenter l’ensemble des prix à la consommation à proportion du taux de la TVA, tandis qu’en raison de la déductibilité de la TVA, le coût des biens et services utilisés comme consommations intermédiaires reste inchangé. Cette taxation sur une assiette élargie à l’ensemble des consommations permettrait aussi une forte augmentation des recettes de TVA, elle toucherait alors des biens de très large consommation dont le poids est important, voire prépondérant, dans la consommation finale et dont l’élasticité de la demande par rapport au prix est faible Bien évidemment, il est essentiel d’évaluer l’impact économique et social d’un tel élargissement de l’assiette de la TVA, qui romprait avec une longue tradition d’exonération rendue possible du point de vue budgétaire par l’importante contribution passée des recettes tarifaires.
L’impact économique de l’assujettissement à la TVA des produits de base
Contrairement à une opinion répandue, l’exonération de TVA constitue le plus souvent un handicap pour le producteur local : la TVA affectant les consommations intermédiaires nécessaires à l’élaboration du produit local exonéré n’est pas déductible et constitue de ce fait un coût définitif. Le producteur local supporte une rémanence de TVA, alors que les importations concurrentes ne subissent aucune charge de TVA. Le producteur local, notamment le producteur agricole, subit du fait de l’exonération de TVA une protection effective négative qui abaisse parfois très fortement son revenu (Araujo Bonjean et Chambas, 2002). Cette situation de déprotection des producteurs du fait des exonérations de TVA est devenue particulièrement insupportable pour deux raisons essentielles. Tout d’abord, les producteurs locaux voient leur protection tarifaire diminuer alors qu’avant cette protection tarifaire compensait la déprotection causée par l’exonération de TVA et permettait d’aboutir le plus souvent à une protection effective globale positive. De plus, dans le contexte actuel de la mondialisation, toute distorsion au détriment des productions locales stimule l’importation de marchandises très compétitives adaptées à des marchés à faible pouvoir d’achat : nombre de producteurs africains (riziculteurs, éleveurs de volailles, fabricants de bougies, de savon, etc.) sont victimes de ce phénomène.
Si le produit local désormais assujetti parvient jusqu’au stade de la consommation finale sans transiter par un assujetti à la TVA, l’avantage net des producteurs non assujettis relativement aux importations est déterminé par les différences entre la TVA et les rémanences de TVA qu’ils subissent. Ainsi, est créée une distorsion au profit d’une filière locale de production opérant en dessous du seuil d’assujettissement. Sans l’exclure complètement pour des produits spécifiques (produits de maraîchage en zone urbaine commercialisés directement par des petits producteurs), une telle situation ne devrait pas être générale dans la mesure d’une application effective des seuils d’assujettissement. L’inconvénient est cependant de favoriser les circuits traditionnels de production et de commercialisation au détriment de circuits modernes : par exemple, les usines de décorticage de riz seront concurrencées de manière déloyale par des ateliers artisanaux. Il est à souligner que le handicap des unités modernes assujettie peut être compensé pour certains produits, au moins partiellement, par la plus grande productivité de ces unités relativement aux unités artisanales.
L’impact social de l’assujettissement à la TVA des produits de base
Contrairement aux producteurs, qui sont gagnants avec l’assujettissement à la TVA de leurs produits, les consommateurs voient leurs revenus réels chuter en raison de l’augmentation des prix à la consommation.
Les effets sur les prix à la consommation
Pour un bien de base échangeable, l’assujettissement à la TVA se traduit par une augmentation du prix à l’importation égal au taux de TVA. Pour les produits échangeables, on peut supposer que le prix à l’importation, TVA incluse, détermine le prix interne à la consommation. Avec l’assujettissement à la TVA du produit, les consommateurs de biens de base échangeables subiront une augmentation des prix égale au montant de la TVA. Les biens transformés auparavant exonérés, comme le pain ou autres préparations alimentaires non importées en l’état, verront leur prix augmenter dans une moindre proportion car l’assujettissement à la TVA permettra de supprimer les rémanences parfois importantes de TVA consécutives à l’exonération de TVA (par exemple, les rémanences de TVA sur la fabrication du pain).
Voici un Exemple chiffré :
Supposons que le prix d’un poulet importé exonéré soit de 100 ; on a alors un prix interne de 100 (alignement du prix interne sur le prix à l’importation). Le producteur local doit s’aligner sur le prix de 100, mais son produit étant exonéré, qu’il soit assujetti à la TVA ou qu’il ne le soit pas, il ne peut obtenir le remboursement de la TVA frappant ses intrants (aliments industriels, produits vétérinaires, électricité, intrants et équipements divers) ; on suppose ici que la rémanence de TVA, qui constitue un coût définitif pour le producteur, est d’un montant de 9, ce qui est vraisemblable si la TVA est d’application assez générale. Cette rémanence, dont l’incidence est supportée par le producteur, grève la compétitivité du producteur local vis-à-vis des importations (il est handicapé par une protection négative ; Araujo Bonjean et Chambas, 2002).
Considérons maintenant l’hypothèse de l’assujettissement des poulets à une TVA au taux de 16 %. En l’absence de tarifs, le prix à la consommation devient de 116 (prix du poulet importé TVA incluse). Un producteur local B non assujetti à la TVA, qui commercialise ses poulets auprès de particuliers, voit sa situation s’améliorer : il subit toujours la rémanence de 9, mais peut désormais vendre son poulet à 116 au consommateur final ; son gain net du fait de la suppression de l’exonération de TVA sur les poulets est de 16 – 9 = 7.
Pour un producteur local A assujetti, s’il vend son poulet à un consommateur final, il s’aligne sur le prix à l’importation (i.e. 100 + 16) et le facture 116, mais, étant assujetti, il peut obtenir le remboursement de la TVA supportée en amont ; il reverse à l’État en TVA nette 16 – 9 = 7.
Vis-à-vis de l’importation, il n’est plus handicapé par une protection effective négative, car il obtient le remboursement de la TVA rémanente. Cependant, le producteur assujetti A est handicapé vis-à-vis d’un producteur non assujetti B dans le cas d’une fourniture directe d’un consommateur local, mais ce handicap de 7 est inférieur au taux nominal de TVA. Au contraire, dans le cas de fourniture d’un opérateur assujetti (cas I) ou d’exportation (cas II), le handicap de la rémanence de TVA (9) pèse sur le producteur non assujetti B et ce handicap est d’autant plus important que ses consommations intermédiaires assujetties à la TVA sont importantes.
Cas I. Avantage pour le producteur assujetti A fournissant un opérateur assujetti. Pour ce dernier, le coût du poulet est le prix hors TVA, soit 100, puisqu’il peut obtenir le remboursement de la TVA du fait de son assujettissement. S’il se fournit auprès d’un producteur non assujetti B, ce dernier devra s’aligner sur ce prix hors taxe de 100 et, étant non assujetti, supportera à titre définitif la rémanence de TVA, soit 9.
Cas II. Pour une exportation, ce qui deviendra de plus en plus fréquent, notamment avec la mise en place des zones d’intégration régionale, là encore l’avantage revient au producteur assujetti A qui facture la TVA au taux zéro et peut obtenir le remboursement de la rémanence de TVA de 9. Un non assujetti B supporte encore la rémanence de TVA de 9.
Les effets sur le revenu des consommateurs
L’assujettissement à la TVA se traduit par une augmentation des prix à la consommation et les consommateurs les plus défavorisés peuvent basculer dans la pauvreté. D’un point de vue sociopolitique, il est indispensable de disposer d’une évaluation détaillée de l’impact de la réforme, dans le cas du Bénin (voir Gorce et Laporte, 2005) et de prévoir des mécanismes de compensation pour les catégories défavorisées.
Les effets sur le revenu des producteurs
A minima, les producteurs de produits agricoles et de biens de base ne sont plus handicapés par des rémanences de TVA et, sauf captation de l’avantage par d’autres intervenants dans la filière de production, la rémunération des producteurs devrait augmenter. Pour certaines filières locales de production non assujetties (produits vivriers commercialisés par des non-assujettis), un fort avantage est obtenu. De ce point de vue, l’extension de l’assiette de la TVA aux biens alimentaires devrait réduire de manière sensible la pauvreté car, dans la plupart des pays africains, la pauvreté est avant tout un phénomène rural affectant les producteurs agricoles, dont la grande majorité est non assujettie à la TVA et a vocation à demeurer non assujettie.
Les effets à travers le budget
Dans la mesure où les dépenses publiques sont gérées de manière efficace et permettent effectivement une réduction de la pauvreté, la préservation du niveau des ressources publiques et donc de celui de l’offre de biens publics est socialement désirable. De plus, toute augmentation du déficit budgétaire peut se traduire par des phénomènes (inflation, accumulation d’arriérés) également néfastes pour les catégories les plus défavorisées. Enfin, dans une vue restreinte à la TVA, un rendement brut plus élevé de cet impôt devrait favoriser le bon fonctionnement des remboursements de TVA, qui constituent une condition fondamentale à la neutralité économique de la TVA.
Les conditions d’un élargissement de l’assiette de la TVA
L’assujettissement à la TVA des biens de base constitue une réforme majeure qui modifie de manière importante la distribution des revenus entre catégories sociales. Les perdants directs de la réforme sont les consommateurs urbains. Les gagnants de la réforme devraient être les producteurs agricoles souvent « sans voix ».
Une réforme aussi importante qu’un élargissement de TVA aux biens de base peut susciter une opposition d’autant plus forte que l’opinion publique va percevoir spontanément les effets néfastes de la réforme et que la fiscalité constitue facilement un argument fédérateur des oppositions aux autorités en place. Il serait présomptueux de prétendre cerner ici l’ensemble des conditions à remplir pour que l’élargissement de l’assiette de la TVA soit acceptable : l’alchimie de l’impôt est trop complexe pour cela. Cependant, l’expérience tirée de divers pays, notamment de l’expérience récente du Niger, montre qu’il est essentiel de satisfaire certaines conditions pour accroître la probabilité d’une réforme réussie.
Le choix d’un contexte favorable
L’élargissement de l’assiette de la TVA doit tenir le plus grand compte du contexte socio-économique. Toute mesure fiscale et a fortiori une mesure conduisant à la taxation de la consommation de biens de base risque de susciter de très fortes réactions sociopolitiques. Il convient notamment d’éviter toute période où des chocs exogènes majeurs seraient subis. Ainsi, l’expérience extrême du Niger, qui a traversé en 2004-2005 une grave crise alimentaire, a montré, si cela était encore nécessaire, que toute pédagogie d’une réforme complexe devient vaine dans un contexte de crise. Au Niger, une opposition frontale très efficace « coalition contre la vie chère » s’est élevée contre l’élargissement de l’assiette de la TVA. La TVA a même été considérée par l’opinion publique comme un facteur expliquant la flambée des prix du riz en 2005, alors que le riz était assujetti à la TVA depuis plusieurs années à la demande des producteurs pour permettre la survie des périmètres rizicoles face à une concurrence extérieure accrue en raison de la libéralisation tarifaire. Des mesures fiscales engagées dans un contexte défavorable ont été à l’origine d’une régression du mouvement de réforme engagé ces dernières années.
Il est donc essentiel d’agir dans une période propice exempte de chocs, d’échéances électorales délicates, etc. Ainsi, afin de minimiser le choc apparent de la réforme, il est certainement judicieux de mettre en œuvre la réforme dans une période de stabilité, voire de baisse des prix internationaux des biens de base exprimés en monnaie locale. Dans les pays en cours de libéralisation tarifaire, il est souhaitable pour des produits en cours de libéralisation de combiner une réduction de tarif avec l’assujettissement à la TVA ; on réduirait ainsi l’effet net de l’élargissement de l’assiette de la TVA.
Une bonne gouvernance
Étant un impôt indirect collecté en amont du consommateur, la TVA en régime de croisière est un impôt largement indolore pour le consommateur. La promotion du civisme fiscal concerne alors surtout un faible effectif d’opérateurs économiques collectant ou ayant vocation à collecter la TVA. Un élargissement important d’assiette de la TVA vers les biens de base implique un changement fondamental de la répartition de la charge fiscale et du fait du changement ainsi introduit, la TVA devient un impôt, dont le poids est fortement ressenti par les consommateurs. L’acceptation de la réforme implique la promotion du civisme fiscal des consommateurs. Il convient alors de surmonter le rejet général de l’impôt en Afrique, fondé notamment sur la mauvaise gouvernance des finances publiques. Sans aucun doute, l’amélioration de la qualité des dépenses publiques constitue une condition essentielle pour mettre en place un impôt sur la consommation des produits de base.
Les évaluations de dépenses fiscales
Le niveau des recettes fiscales des pays africains est érodé par des exonérations diverses en très grand nombre adoptées à la requête de groupes de pression à des fins d’incitation économique et sociale. La multiplication des exonérations, leur superposition ont rendu les systèmes fiscaux extraordinairement complexes. Une tâche fondamentale « évidente », condition d’une transparence de plus en plus exigée (Brixi, 2004) est de recenser l’ensemble des exonérations, d’évaluer leur impact sur les recettes (évaluation de la dépense fiscale). Il convient à partir des éléments d’informations ainsi réunis d’apprécier si les dépenses fiscales et les difficultés d’application de l’impôt consécutives aux exonérations de TVA sont justifiées économiquement et socialement. Il est aussi d’apprécier si des moyens alternatifs comme des subventions directes ciblées ne présentaient pas une meilleure efficacité pour atteindre les objectifs visés. À ce jour, les évaluations de dépenses publiques étaient principalement réservées aux pays développés. L’expérience du Maroc, qui va produire un rapport sur la dépense publique annexé à la Loi de finances 2006, a démontré la faisabilité d’une telle démarche dans des pays en développement.
Les études d’impact de la réforme
Afin d’éviter les réactions de rejet a priori et de permettre la définition d’une politique pertinente, il est essentiel que les effets de l’élargissement de l’assiette de la TVA fassent l’objet d’études d’impact quantifiées, aussi rigoureuses que possible. La méthodologie utilisée par ces études doit permettre la production de résultats accessibles à l’ensemble des décideurs. Une diffusion adaptée des résultats de ces études en direction de l’opinion publique doit être soigneusement préparée. Ces études peuvent permettre d’identifier les groupes touchés de manière négative et de prévoir si nécessaire des mesures de compensation. Elles doivent aussi mettre clairement en évidence les avantages d’un élargissement de la TVA pour d’autres groupes. Par exemple, il est essentiel que les producteurs bénéficiaires de cette réforme en perçoivent clairement l’avantage : ils accepteront plus facilement l’assujettissement à la TVA de leur production et agiront en faveur de la réforme auprès des autorités. À cet égard, la politique de réforme fiscale peut être facilitée quand les producteurs sont organisés.
La composition et le calendrier du programme d’élargissement de la TVA doivent être soigneusement préparés. Il s’agit d’éviter des chocs excessifs et des incohérences. Ainsi, la suppression d’exonération de TVA relatives aux consommations intermédiaires doit avoir pour corollaire l’assujettissement du produit afin de permettre l’application du mécanisme de déductibilité.
Quelques références bibliographiques :
Jean-François Brun, Gérard Chambas et Jean-Louis Combes, Méthodes d’évaluation des recettes publiques, 2006
Conférence des nations Unies sur le commerce et le développement New-York et Genève 2007
Mouhamadou Moustapha CISSE, la fiscalité locale sénégalaise : est-ce un outil de
Promotion du développement local : cas de la ville de Rufisque» Année académique 2010-2011
Nasser KEITA, PhD
Directeur du Laboratoire de Recherche Économique et Conseils (LAB-REC)
www.lab-rec.org