« Un militaire sans formation politique, idéologique est un criminel en puissance » T. Sankara
Mardi 15 octobre 2024, voilà, il y a 37 ans depuis le lâche assassinat du capitaine Thomas Sankara, surnommé le « Che Guevara africain », l’une des plus grandes figures emblématiques de l’histoire post coloniale africaine. Ce révolutionnaire charismatique a marqué non seulement le Burkina Faso mais aussi l’ensemble du continent africain par sa vision d’un développement autonome et sa volonté farouche de libérer l’Afrique du joug du néocolonialisme.
En seulement quatre ans de pouvoir (1983-1987), il a transformé son pays et jeté les bases d’une nouvelle manière de penser la gouvernance en Afrique. Cependant, son engagement révolutionnaire l’a également conduit à un destin tragique. Le 15 octobre 1987, il fut assassiné lors d’un coup d’État dirigé par son ancien compagnon d’armes, Blaise Compaoré. Son héritage, cependant, perdure et continue d’inspirer de nombreux jeunes africains aujourd’hui.
I. Les Premières Années de Thomas Sankara
Thomas Sankara est né le 21 décembre 1949 à Yako, dans la province du Passoré au Nord de l’ancienne Haute-Volta (aujourd’hui Burkina Faso) à 109 km de la capitale, Ouagadougou. Il est issu d’une famille modeste. Son père, un ancien combattant qui avait servi dans l’armée coloniale française pendant la Seconde Guerre mondiale, était gendarme, tandis que sa mère s’occupait de la maison. Il grandit dans une famille nombreuse, marquée par une forte discipline et des valeurs africaine teintées d’intégrité, qui façonneront plus tard son approche de la politique.
Thomas Sankara a été un élève brillant. Durant son parcours scolaire et d’études supérieures, il excelle dans ses études et développe un intérêt particulier pour la géographie, l’histoire, la philosophie et la politique, influencé par les luttes anticoloniales qui influencent le continent africain à cette époque.
En 1966, alors qu’il n’avait que 17 ans, lorsqu’il assiste au premier coup d’État dans son pays, orchestré par le lieutenant-colonel Sangoulé Lamizana, qui renverse Maurice Yaméogo, le premier président de la Haute Volté indépendante; ce qui éveille en lui une conscience politique aiguë.
II. La Montée au Pouvoir : Le Coup d’État de 1983
En 1970, Thomas Sankara intègre l’armée, un choix qui lui permet d’acquérir une formation militaire de haut niveau, tout en l’exposant aux idées révolutionnaires en vogue. Ainsi, après son baccalauréaut au Prytanée Militaire de Kadiogo. Il se rend à l’Ecole militaire inter-arme de Yaoundé (Cameroun) et à l’Académie militaire d’Antisirabe (Madagascar) pour suivre une formation d’officier. C’est pendant sa formation à la Grande Ile, dans les années 1970, qu’il a commencé à lire Karl Marx et Vladimir Lénine, ainsi que Frantz Fanon et Che Guevara, qui allaient profondément influencer sa vision du monde. Lors de son retour en Haute-Volta, il devient rapidement un officier respecté et un leader charismatique.
Assoiffé d’apprendre pour mieux se former, il va suivre d’autres formations au Maroc et en France.
Sangoulé Lamizana est renversé en novembre 1980 par un autre coup d’Etat militaire, piloté par le colonel Saye Zerbo. En septembre 1981, le très populaire Thomas Sankara est nommé secrétaire d’Etat à l’Information; mais ses positions radicales et son franc-parler lui valaient de nombreux ennemis. Il démissionnera le 21 avril 1982 dénonçant la dérive autoritaire du gouvernenement. En direct à la télévision nationale, il lance « Malheur à ceux qui baillonnent le peuple ».
Après le coup d’État du 7 novembre 1982 qui porte au pouvoir le médecin militaire Jean-Baptiste Ouédraogo, en janvier 1983, il devient premier ministre mais, il sera limogé le 17 mais et placé en résidence surveuillée.
Le 4 août 1983, à l’âge de 33 ans, ThomasSankara, soutenu par un groupe de jeunes officiers révolutionnaires, dont Blaise Compaoré, Henri Zongo et Jean-Baptiste Boukary Lingani, prend le pouvoir à la suite d’un autre coup d’État. C’est le début de la Révolution marquée par des profondes transformations sous la houlette du Conseil national révolutionnaire, CNR.
III. La Révolution Sankariste
L’une des premières mesures symboliques, hautement significative de Thomas Sankara est de changer le nom du pays, passant de « Haute-Volta », un nom hérité de la France coloniale, à « Burkina Faso », qui signifie « Terre des hommes intègre » en mooré. et en dioula, tadis que les habitants du pays sont appelés « Burkinabe » en foulfouldé, les principales langues locales. Ce changement de nom du pays ainsi que le drapeau et la dévise nationale refléte son engagement à rendre au peuple sa dignité et à promouvoir une politique d’intégrité.
1. Réformes sociales et économiques
Thomas Sankara met en œuvre un large éventail de réformes sociales et économiques visant à rendre le Burkina Faso autonome et à améliorer les conditions de vie de sa population. Son gouvernement lance une vaste campagne de vaccination, visant à éradiquer des maladies comme la polio, la rougeole et la méningite, sauvant ainsi des milliers de vies. En quelques semaines seulement, des millions d’enfants sont vaccinés, une réalisation saluée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
L’éducation est également au cœur de ses préoccupations. Il rend l’enseignement gratuit et obligatoire, tout en renforçant les efforts pour alphabétiser la population rurale. Ces réformes éducatives permettent une augmentation significative du taux d’alphabétisation du pays en peu de temps.
Sankara était aussi un fervent défenseur des droits des femmes, une position rare pour un dirigeant africain de l’époque. Il introduit des lois interdisant la pratique des mariages forcés et de l’excision, tout en encourageant l’accès des femmes à l’éducation et au marché du travail. Il croyait fermement que l’émancipation de la femme africaine au sens propre du terme est essentielle à la libération de l’ensemble de la société.
2. Redistribution des Terres et Production Locale
L’une des réformes économiques les plus radicales de Sankara fut la redistribution des terres aux paysans. Sous son gouvernement, des terres appartenant à l’État ou à des propriétaires terriens absents ont été redistribuées aux cultivateurs. Cette politique permet d’augmenter la production agricole, rendant le Burkina Faso autosuffisant en céréales en quelques années.
Par ailleurs, Sankara encourage l’utilisation des produits locaux pour soutenir l’économie nationale. Il appelle la population à consommer des produits locaux et à abandonner les vêtements importés au profit des tissus traditionnels. Ce nationalisme économique, combiné à une lutte acharnée contre la corruption, contribue à améliorer la situation économique du pays.
IV. Ses visées politiques à l’International et sa vision panafricaniste
Sur la scène internationale, Thomas Sankara était un ardent défenseur de l’indépendance économique et politique de l’Afrique. Dans ses discours, notamment à l’ONU et à l’Organisation de l’unité africaine (OUA) l’ancêtre de l’Union africaine (UA), il critique vigoureusement les puissances occidentales et le système néocolonial qui maintient les pays africains dans un état de dépendance.
L’un de ses discours les plus célèbres, prononcé en 1987 à Addis-Abeba lors du sommet de l’OUA, portait sur la dette africaine. Il appelle les pays africains à refuser de payer la dette extérieure, affirmant que celle-ci est un héritage du colonialisme et qu’il est injuste de la faire peser sur les peuples africains. Sankara affirme : « Si nous nous taisons à ce sujet, c’est parce que nous avons peur de mourir, mais nous allons tous mourir un jour. Qu’en vaut-il la peine, de vivre en esclave ou de mourir en homme libre ? »
Son engagement en faveur de l’autosuffisance et son refus des aides internationales, qu’il voyait comme des outils de domination, lui valurent le respect de certains dirigeants africains, mais aussi l’inimitié de nombreux gouvernements occidentaux et élites locales, corrompues et suppôts de l’impérialisme international.
V. L’Opposition et les « Ennemis Intérieurs »
Cependant, la transformation rapide et radicale du Burkina Faso ne fait pas que des heureux. Les réformes agricoles et la lutte contre la corruption engendrèrent une opposition croissante parmi les élites traditionnelles et les conservateurs. Les propriétaires terriens, qui avaient perdu leurs terres, et les fonctionnaires corrompus, qui voyaient leurs privilèges remis en question, commencent à comploter contre le capitaineThomas Sankara.
La situation devient exacerbée par des tensions au sein de son propre camp, Conseil National Révolutionnaire (CNR) . Blaise Compaoré, son plus proche allié, ainsi que certains officiers, commencent à exprimer des réserves sur la direction que prenait la révolution. Ces divisions au sein du gouvernement ouvrent la voie à un coup d’État.
VI. L’Assassinat et ses Conséquences
Le 15 octobre 1987, Thomas Sankara est assassiné lors d’un coup d’État orchestré par Blaise Compaoré. Il a été abattu avec douze de ses compagnons dans les locaux du Conseil national de la révolution à Ouagadougou. Ce coup d’État met fin brutalement à une période de transformation intense au Burkina Faso.
La mort de Sankara a provoqué une onde de choc au niveau national et international. De nombreux Africains voyaient en lui un espoir pour l’avenir du continent, et son assassinat marqua la fin d’un rêve révolutionnaire.
VII. L’Héritage de Thomas Sankara
« On peut tuer un homme mais des idées« , parole de Thomas Sankara. Bien qu’il ait été physiquement éliminé, son héritage a survécu et continue d’inspirer des générations. Son image est devenue un symbole de la résistance contre l’oppression et le néocolonialisme. Sankara incarne la lutte pour une Afrique indépendante, autosuffisante et intégrée.
Son engagement en faveur des droits des femmes, de l’éducation, de la santé publique et de la lutte contre la corruption reste un modèle pour de nombreux pays africains. Des mouvements sociaux et politiques à travers le continent se réclament encore aujourd’hui de ses idées.
Somme toute, Thomas Sankara fut plus qu’un simple chef d’État ; il était un visionnaire, un révolutionnaire et un fervent défenseur de l’intégrité et de la justice. Sa mort tragique a coupé court à un ambitieux et prometeur projet de transformation sociale, politique et économique. Comme le dira Jean Zigler, le pouvoir de ThomasSankara était « un pouvoir africain ». Son héritage demeure vivant dans la mémoire collective de l’Afrique et de tous ceux qui luttent pour un monde plus juste. Thomas Sankara est simplement immortel!
Oumar Kateb Yacine
Journaliste, consultant géopolitique
Président de l’Institut Afrique Emergente, un think tank panafricain
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