En Guinée, Kankan est l’une des villes réputées pour sa culture et son respect des principes de la religion musulmane. Mais depuis quelques années, cette image est peu à peu entachée par des phénomènes de dépravation des mœurs.
C’est le cas de la prostitution, qui gagne de plus en plus du terrain dans le Nabaya, considéré comme une ville sainte. De nombreuses jeunes filles, âgées de 20 à 30 ans, sont devenues des travailleuses du sexe, ou « sounkouroumba » comme on les appelle dans la langue locale.
Conscient de cette dangereuse montée de la prostitution qui conduit la jeunesse à sa perte, l’artiste Manden Fodé a décidé de prendre la plume. Le rappeur a en effet sorti un nouveau single intitulé « Prostitution », qui dénonce le phénomène et sensibilise les jeunes filles. Rencontré par notre correspondant basé à Kankan, Manden Fodé a expliqué ses motivations en ces termes : « J’ai eu l’inspiration de cette chanson en observant les conditions de vie des jeunes dans les zones minières. Là-bas, il n’y a pas d’hôtels pour héberger les artistes qui viennent pour les concerts ; on nous loge souvent dans des maquis avec notre équipe. Durant la nuit, entre 22h et 23h, on peut voir de très jeunes filles, souvent âgées de moins de 18 ou 20 ans, se prostituer pour seulement 20 000 Fg. Dans ma chanson, j’ai mentionné 30 000 Fg pour adoucir la réalité, mais il est révoltant de voir une personne se vendre pour une somme aussi dérisoire. Ces filles restent debout de 22h jusqu’à 4h du matin, si on peut appeler ça « travailler ». À Kankan, la situation est similaire, bien que l’environnement et les méthodes diffèrent quelque peu. »
Dans la chanson, qui dure 3 minutes 15 secondes, le rappeur fait allusion à une étudiante qui se prostituait pour subvenir à ses besoins. Ce choix de personnage par l’artiste n’est pas fortuit. « J’ai discuté avec au moins cinq jeunes filles qui se prostituent, et la majorité d’entre elles sont des étudiantes. Certaines le font pour subvenir aux besoins de leurs familles. En trois minutes de chanson, il est impossible de tout raconter, mais j’essaie de transmettre l’essentiel pour que les gens comprennent. Pour certaines, c’est devenu un contrat ; elles ne ressentent plus aucun amour, seul l’argent compte. Elles peuvent te demander 100 000 Fg pour la nuit, et après avoir fait le tour des boîtes et des bars, elles finissent par te retrouver et passent la nuit avec toi. »
C’est bien beau de dénoncer, mais que fait Manden Fodé pour lutter contre le phénomène ?
« Lors de ma dernière tournée, j’ai réussi à convaincre trois filles d’abandonner cette vie. J’ai pris en charge le loyer de six mois d’une maison à Siguiri pour qu’elles puissent s’éloigner des zones minières et ainsi éviter de replonger dans ce cercle vicieux. »
Entre déscolarisation, consommation de stupéfiants, vols et prostitution, la jeunesse de la Haute-Guinée en général, et celle de la région de Kankan en particulier, court dangereusement vers le chaos. Manden Fodé tire la sonnette d’alarme :
« Ce que je demande aux autorités et à la société, c’est d’agir. Il est urgent de mettre en place des programmes de sensibilisation, des formations professionnelles et des aides financières pour offrir des alternatives viables à ces jeunes filles. Il faut aussi que les autorités locales renforcent la surveillance des zones minières et créent des structures d’accueil pour protéger ces jeunes femmes. Nous ne pouvons pas rester indifférents face à cette situation déplorable, c’est notre responsabilité de les aider à sortir de là. »
La chanson est disponible sur la chaîne YouTube de l’artiste Manden Fodé, qui, depuis quelques années, s’illustre comme étant le digne successeur du groupe de rap Puissance Mandingue.
Ahmed Sékou Nabé, correspondant à Kankan