(9 janvier 1922 – 26 mars 1984)- L’homme du destin dont j’entendais tant parler au village durant la lutte pour l’indépendance, je le vis pour la première fois le 12 mai 1965 lorsqu’il visita le chef-lieu de notre arrondissement. Je me souviens encore de la partie du discours de bienvenue prononcé par le gouverneur de région, Mr. Moussa Sanguiana Camara qui saluait en lui, l’homme du 28 septembre 1958, ce qui déchaina un tonnerre d’applaudissements. Son mouchoir blanc et la foule en liesse autour de lui flottent encore entre les plis de ma mémoire. C’était féerique et envoûtant. Il était homme à drainer les foules à travers l’Afrique et le monde.
Je le revis plusieurs fois durant les années suivantes dans des rassemblements populaires comme à l’école des cadres du parti. En compagnie de Dr. Kwame N’Krumah, Josip Broz Tito, Ahmadou Ahidjo, Yakubu Gowon, Houari Boumediene, Fidel Castro et tant d’autres illustres personnalités de l’époque. Une occasion exceptionnelle de le voir de près et d’échanger avec lui advint pour moi lorsqu’il reçut quelques camarades et moi dans son bureau à la présidence de la république le samedi 15 septembre 1973. Il était à la fois majestueux et simple, cordial et impérial, méticuleux et compréhensif. Cette expérience exceptionnelle m’est encore fraîche à la mémoire, mais ne suffit pas pour le décrire. Des personnes plus cultivées que moi ont campé, chacune à sa façon et avec brio, cet homme hors pair. Aimé Césaire le qualifia de « l’homme africain décisif » de la période de la décolonisation. Léopold Sédar Senghor lui reconnut un « amour tyrannique pour l’Afrique ». Par-dessus tout, un blanc, ami de la Guinée, venu de loin le décrivit avec les mots les plus poignants que j’ai jamais lus. À vous de déguster les mots du Professeur Imre Marton de Hongrie qui enseigna des générations de cadres à l’Université Gamal Abdel Nasser de Conakry : « J’étais à quelques mètres de lui, alors qu’il tenait un discours improvisé à un meeting. Il posait sa main sur le micro comme l’adolescent sur l’épaule nue d’une jeune fille. Avec la même retenue et timidité, avec la même passion et contraction. Dans un premier temps, il prononçait ses paroles avec lenteur, semblable à un sculpteur qui médite devant un bloc de pierre sur lequel il dessine de son regard les lignes et les formes qu’il creusera. Et son être, tout tendu, soudain se libère en colère, en réquisitoire, en malédiction et dénonciation à l’endroit des ennemis du Peuple. Au cours du discours, surgit la statue fière, lumineuse, réconfortante et exaltante, vengeresse et stimulante des espoirs de son Peuple et son amour passionné pour l’Afrique. » Imre Marton.
Ahmed Sékou Touré, l’homme par qui se libera l’Afrique ! Contre vents et marées, il redonna la dignité au Peuple Noir avant de nous quitter il y a quarante ans de cela.
Que la Terre lui soit légère!
Le 26 mars 2024
Dr. Mamadou Touré