Délestages à Conakry : Il faut soigner le mal à la racine [Emmanuel Millimono]

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Il y a quelques mois en arrière, le Guinéen aurait juré en avoir fini définitivement avec les sombres moments d’une capitale plongée dans le noir, ou soumises à des délestages devenus presque normaux, durant plusieurs heures. Ces derniers temps, les rares coupures d’électricité qu’enregistraient certains quartiers de Conakry avaient des explications techniques tenables, soutenues par des pannes au niveau des installations. Mais ce que vit actuellement la population guinéenne rappelle les années où l’électricité était encore de l’ordre du luxe.
Jusque-là, les solutions envisagées ne sont que des sortes de rafistolage qui peinent à toucher réellement la source du problème.  Comme très souvent,  nous faisons face à nos défis de manière conjoncturelle, et non structurelle.  Alpha Condé l’avait compris,  c’est pourquoi il a accru la production,  de sorte à en disposer suffisamment pour prétendre même en exporter vers les pays voisins. Alors comment convaincre le Guinéen de patienter encore en 2024 pour avoir le courant seulement 12 heures par jour? La faute à une mauvaise approche.
À entendre les différentes solutions qui se peaufinent pour juguler cette nouvelle crise de l’électricité,  on s’aperçoit bien que nous privilégions encore des solutions conjoncturelles aux structurelles. Bien entendu, je suis d’accord qu’il faille faire face au conjoncturel pour ensuite avoir le temps d’examiner le structurel.  Sauf que la vision vers cette approche d’efficacité ne se dessine pas encore. La vérité est qu’en 65 ans, nous avons été incapables de bâtir une société d’électricité efficace,  autonome et capable de résister aux chocs endogènes.
Il aura fallu justement une petite raréfaction des ressources financières,  quelques mois seulement d’étiage et l’explosion du dépôt d’hydrocarbures, pour que notre politique énergétique s’effondre. Les politiques publiques dans ce domaine n’ont jamais été courageuses, obligées de combiner avec de petits calculs politiques. Face à la crise persistante, la réponse en cours d’études sonne déjà comme un aveu d’impuissance. Lorsque le Premier ministre affirme,  à juste raison, que la location et la mise en service d’un bateau qui a pourtant longtemps permis de juguler ce genre de crise, est trop coûteuse, cela démontre que la solution n’est pas à portée de main. Mais c’est surtout pour dire que la crise pourrait encore perdurer.
Pourtant,  face à la baisse objective du niveau d’eau dans les retenues des différents barrages hydroélectriques, l’arrivée de ce bateau et la mise en production maximale de différentes centrales du pays, sonneraient sur le plan économique comme un accroissement de la production. Qui dit accroissement de la production, déduit maintien de la clientèle, maintien de la consommation, et donc, accroissement du profit.
Tout en saluant le langage de vérité et de détermination de Monsieur Amadou Oury Bah, on peut légitimement se demander pourquoi une entreprise commerciale peut-elle avoir peur d’accroître sa production ?
Le mal est ailleurs.
On peut mobiliser l’ensemble des bateaux à centrales du monde, remplir nos retenues avec toute l’eau monde, faire tourner toutes les centrales du monde à notre profit… S’il n’y a pas de réformes sérieuses de la société d’exploitation et de commercialisation de cette électricité,  l’Etat continuera à percevoir la hausse de la production comme une dépense, et non un investissement.  Car, c’est le cas, la production d’électricité coûte extrêmement chère.  Elle l’est encore plus dans un pays où la production n’est pas rentable, ce qui est le cas de la Guinée.
La subvention accordée chaque année à la société EDG est stratosphérique et peut permettre de réaliser de nombreuses infrastructures de base capables de changer le quotidien de nos concitoyens. Monsieur Bah Oury le sait.
Sauf que dans le cas de EDG, la subvention ne profite pas aux citoyens. Le déficit de performance économique de cette société est tellement énorme qu’il lui est impossible de tenir debout toute seule. Paradoxal non???
Moins de 50% des consommateurs d’électricité payent directement dans les caisses de la société.  L’autre moitié paye auprès d’agents véreux et corrompus de EDG. Oui la notion de consommateurs clandestins existe réellement. Mais ce sont des clandestins entre EDG et l’Etat,  pas entre EDG et les consommateurs car la société connaît parfaitement chaque usager d’électricité connecté à son réseau. Des milliers de ménages paient leur consommation directement auprès d’un réseau d’agents de la société,  pas dans ses caisses.
Cette fraude entretenue depuis les ménages profite bien à une chaîne importante de l’entreprise, une chaîne au début de laquelle se trouve les fameux agents de zones, ces maîtres absolus des quartiers qui distribuent d’une part les factures chez les abonnés normaux, et d’autre part collectent de l’argent chez des pseudo clandestins à chaque échéance de facturation. D’où l’impossibilité absolue pour EDG d’avoir une comptabilité équilibrée,  en attendant qu’elle ne soit performante ou excédentaire.
Alpha Condé l’avait compris, la Banque mondiale aussi, ainsi que des cadres de la société.  Mais l’essentiel des projets de réformes ont échoué,  car ceux chargés de les mettre en œuvre dans les quartiers sont en réalité le vrai problème. Chaque fois que la société s’est vue sous la pression d’aller vers un équilibre dans ses comptes dépenses et profits, elle a porté à la hausse les factures des consommateurs abonnés et honnêtes,  plutôt que de ramener dans sa facturation les millions de consommateurs clandestins qu’elle connaît. Conséquence, le nombre de clandestins gonfle progressivement et la société ne peut pas atteindre son objectif de performance.
En fiscalité,  cela se traduirait par l’accroissement de la pression fiscale,  plutôt que l’élargissement de l’assiette fiscale. Un boulot de paresseux.
Autre problème,  et je le vis régulièrement,  d’autres personnes aussi peut-être,  j’ai toujours payé plus-que le montant inscrit sur les factures que me livre mon agence, dans l’espoir que l’excédent soit inscrit dans mon compte provision. Eh bien, j’ai toujours eu un compte provision nul, quand bien même que le montant payé est supérieur au montant dû.  Les factures et les reçus sont disponibles.
Bref, aucune politique énergétique ne réussira en Guinée si elle ne prend pas en compte, au cœur de son fonctionnement,  la réforme profonde de la société de commercialisation, EDG. Son inefficacité a fini par inscrire dans notre subconscient que la question de l’énergie est une question sociale. Non, c’est une question économique. Si tous les consommateurs d’électricité payent leurs factures directement dans les caisses de l’Etat,  le coût de l’électricité peut baisser, la production peut s’améliorer et les délestages peuvent diminuer.
Mais dans un contexte où la société engloutit plus de fonds qu’elle n’en rapporte,  le raccourci tout simple est de faire face à la subvention.  Sauf que dans le cas de EDG, l’essentiel de la subvention profite à ceux qui entretiennent la chaîne des sous-abonnés et des clandestins.
Pour notre pays, pour le bien de tous, réformons EDG. C’est vital…
Emmanuel Millimono 
Journaliste

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