Ici en Guinée, mesurons-nous réellement les enjeux et les défis liés à la gouvernance de l’internet ? [Sayon Mara]
Ensemble de réseaux mondiaux interconnectés permettant à des ordinateurs et à des serveurs de communiquer efficacement au moyen d’un protocole de communication commun (IP), l’internet est aujourd’hui un outil vital pour la participation à la démocratie. Il est, par excellence, un outil de travail. Cela nous amène à poser la question suivante : Existe-il un droit à l’internet en vertu du droit international ?
La sortie totalement ratée du Ministre porte-parole du Gouvernement, M. Ousmane Gaoual Diallo, ancien responsable de la cellule de communication de l’Union des Forces Démocratiques de Guinée (UFDG) par rapport au brouillage des ondes des radios et la restriction des réseaux sociaux, défraie la chronique et indigne plusieurs de ses compatriotes dont moi.
En effet, le Ministre porte-parole et de surcroît chargé des télécommunications et de l’économie numérique soutient avec énergie que l’internet n’est nullement un droit en Guinée, avant d’arguer qu’il n’est pas coupé et qu’il marche comme sur des roulettes. Pourtant, depuis quelques jours, pour accéder à cette denrée vitale dans cette ère du numérique que nous vivons ostensiblement, il faut installer des logiciels comme VPN et autres. D’ailleurs, a-t-il réellement tenu compte du nombre de droits fondamentaux liés à la gouvernance de cet instrument de travail ?
Parfois, le silence est mieux, nous enseigne un vieux dicton populaire africain. Bien qu’un droit explicite à l’internet n’ait pas encore été reconnu dans un traité international ou un instrument similaire, cependant en 2012, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies (CDHNU) a adopté une importante résolution sur la promotion, la protection et l’exercice des droits de l’homme sur Internet. Cette résolution « appelle tous les Etats à faciliter l’accès à l’internet et la coopération internationale visant à développer les médias et les moyens de communication de l’information dans tous les pays. »
Également, la résolution des Nations Unies en 2016 sur l’Internet, adoptée par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies reconnait que « les mesures visant à empêcher ou à perturber l’accès à l’information en ligne ou sa diffusion sont une violation du droit international des droits humains. »En outre, l’UNESCO soutient qu’empêcher ou restreindre l’accès à l’internet constitue une violation des dispositions de l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme relative à la liberté de rechercher, de recevoir et de partager des informations.
Parfois, le silence est mieux ! Ne dit-on pas que quand on n’a souvent rien à dire, vaut mieux alléguer que l’éléphant balance sur une toile d’araignée ?
L’accès à l’internet est une condition nécessaire à l’exercice ou à la jouissance d’un certain nombre de droits fondamentaux. Il y a tellement de droits fondamentaux liés à la gouvernance de cet instrument que dire aujourd’hui qu’il n’est pas un droit, surtout quand cela vient d’une autorité, c’est carrément ne pas connaitre les enjeux et les défis liés à la gouvernance de cet instrument.
Certes, les arguments pour ou contre le droit d’accès à l’internet sont copieux. Source de nombreux débats, mais brandir aujourd’hui que l’internet n’est pas un droit, c’est comme soutenir que l’eau, l’électricité et autres droits fondamentaux ne le sont pas également. Même ceux qui ne sont pas du tout d’accord qu’on confère le statut de « droit humain » à part entière l’accès à l’internet, reconnaissent tout de même que c’est un droit qui contribue à la réalisation des droits fondamentaux, comme le droit au travail et à l’information par exemple.
Grace à cet instrument actuellement, les employés peuvent travailler à domicile et maintenir leurs économies à flot ; les gouvernements et autres sont en mesure de diffuser des informations vitales sur la santé par exemple, sensibiliser les populations sur certaines maladies transmissibles ou sur les ordures ménagères qui sont à l’origine de la pollution ; les familles peuvent rester en contact avec le monde entier, des amitiés peuvent se tisser à distance. Sans oublier la téléconférence, les visites virtuelles, le commerce électronique, les réservations en ligne d’hôtels pour ceux qui voyagent et autres, les banques électroniques, les bibliothèques numériques, les recherches d’emplois et autres.
Les étudiants, grâce à l’enseignement à distance, peuvent poursuivre leurs études normalement et mener à bien leurs projets. Incontestablement, l’internet est un moyen qui permet de profiter d’autres droits humains. Il donne accès à des services innovants. Comme l’affirme M. Reglitz, c’est une bouée de sauvetage.
L’accès à l’internet doit être considéré comme un droit humain fondamental. En 2021, les Nations Unies ont appelé à un accès universel à l’internet d’ici 2030. Même si l’accès à l’internet n’est pas encore explicitement reconnu par les Nations Unies comme un droit humain comme souligné plus haut, mais dans son rapport de 2021, le Secrétaire Général de cette organisation a évoqué la nécessité d’un accès universel à l’internet.
M. Antonio Guterres disait à l’époque que : « Le moment est venu de renouveler le contrat social entre les gouvernements et leurs populations ainsi qu’au sein des sociétés. » Plus loin, il a déclaré que « Le contrat devrait inclure des dispositions de gouvernance actualisées pour fournir de meilleurs biens publics et ouvrir une nouvelle ère de protection sociale universelle, de couverture santé, d’éducation, de compétences, de travail décent et de logement, ainsi que l’accès universel à internet d’ici 2030 en tant que droit humain fondamental. »
Empêcher ou restreindre l’accès à l’internet sans raison valable est considéré par toutes les organisations internationales comme étant une violation du droit à l’information. En d’autres termes, empêcher ou restreindre l’accès à l’information diffusée en ligne revient à porter atteinte aux droits de l’homme.
Bref, les restrictions de l’internet ont des effets dramatiques sur la vie de nombreuses populations, car leurs activités dépendent de cet outil de travail. Donc, plutôt que de brandir que l’internet n’est pas un droit, il serait mieux de garantir l’accès facile de cette denrée indispensable aujourd’hui aux citoyens, car, comme l’a dit l’autre un jour, ce droit est important pour la santé de la démocratie.
Parfois, le silence est mieux ! Monsieur le Ministre, la gouvernance de l’internet n’est pas locale ; elle est globale.
Sayon MARA, Juriste