65 ans après le ‘Non’ courageux, la Guinée persévère dans sa quête de dignité [Ousmane Boh Kaba]
Le 28 septembre 1958, la Guinée a marqué l’histoire en rejetant courageusement le projet de Constitution proposé par le Général Charles de Gaulle, visant à établir une Communauté franco-africaine, par un vote massif en faveur du « Non ». Cette décision a fait de la Guinée le seul territoire parmi les colonies françaises d’Afrique à choisir la voie de l’indépendance.
Le 2 octobre 1958, l’indépendance a été solennellement proclamée. Ce moment historique, ancré dans la mémoire collective, puise ses racines dans un discours emblématique prononcé par Ahmed Sékou Touré, natif de Faranah, en haute Guinée, qui deviendra par la suite le président de la Guinée indépendante. Dans cet éloquent discours, il exprima avec une passion inébranlable : « La dignité ne peut exister sans liberté : nous préférons la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l’esclavage. »
Ce choix audacieux a immédiatement suscité une réponse de Charles de Gaulle, qui a affirmé : « L’indépendance est à la disposition de la Guinée [mais] la France en tirera les conséquences« . Cette déclaration a inauguré le début d’une nouvelle ère pour la Guinée, où les répercussions de ce rejet massif ont eu un impact sur le destin du pays.
Sékou Touré, tout en consolidant son autorité, a toujours préservé la fierté nationale de son pays. Il affirmait : « L’indépendance n’était qu’une opportunité pour le peuple noir de se libérer de la misère et de l’humiliation. (…) Le choix de la Guinée incarnait donc un choix pour l’ensemble de l’Afrique« . Il a assumé fermement le leadership de la Guinée, même face aux défis colossaux qui se dressaient devant elle. La France, devenue hostile, a rompu ses liens économiques et politiques avec la Guinée, la plongeant dans un isolement international et des difficultés économiques considérables. L’expulsion des fonctionnaires français a créé un vide dans de nombreux secteurs de l’administration, nécessitant ainsi une formation rapide des cadres guinéens pour prendre en charge ces postes vacants.
Cependant, Sékou Touré a embrassé une politique axée sur le développement autonome. Il a initié des réformes agraires visant à répartir les terres plus équitablement parmi les agriculteurs, réduisant ainsi les disparités foncières héritées de la période coloniale. De manière concomitante, il a encouragé l’industrialisation pour réduire la dépendance économique de la Guinée vis-à-vis de la France. Sa vision dépassait les frontières guinéennes, car il était un fervent défenseur de l’unité africaine.
La Guinée est ainsi devenue un centre de soutien aux mouvements de libération nationale en Afrique. Sékou Touré a apporté un soutien actif à des mouvements tels que la guérilla en Guinée-Bissau dirigée par Amilcar Cabral, la lutte pour l’indépendance de l’Angola et l’aide à la Swapo et au Frelimo. Il était fermement convaincu que l’émancipation de l’Afrique passait par la solidarité entre les nations africaines et la lutte contre l’impérialisme.
Cette période a façonné l’histoire politique et économique de la Guinée, posant les bases d’une quête d’indépendance économique et d’une contribution active à la décolonisation de l’Afrique. Sékou Touré a montré au monde que la Guinée était résolue à forger sa propre voie vers la prospérité et à soutenir les aspirations de libération de toute l’Afrique.
Le premier président de la Guinée, à qui ses innombrables admirateurs ont donné le sobriquet de grand « Syli« , est mort le 26 mars 1984 dans un hôpital de Cleveland, aux États-Unis. Il n’a pas su faire de ce qu’il appelait un « scandale géologique« , du fait de son extraordinaire richesse minière et naturelle, un « miracle du développement« . Pas plus que ses héritiers au pouvoir. La Guinée est encore l’un des pays les plus en retard dans l’Indice de développement du PNUD.
Aujourd’hui, alors que nous commémorons les 65 ans de l’indépendance de la Guinée, rappelons-nous de cet homme courageux qui a incarné la lutte pour la liberté et la dignité, et dont l’influence résonne toujours dans l’histoire africaine. Ahmed Sékou Touré, une figure controversée mais incontestablement marquante de son époque, laisse derrière lui un héritage qui continue d’inspirer. Comme un symbole, le « Non« de la Guinée avait été prononcé 60 ans jour pour jour après l’arrestation, par les Français, de l’Almamy Samory Touré (1830-1900), un des plus grands résistants africains à la pénétration coloniale et dont Sékou Touré est le petit-fils.
L’héritage de Sékou Touré, ainsi que les déclarations marquantes de certains de ses successeurs, continuent de résonner profondément dans l’histoire du pays. Le capitaine Moussa Dadis Camara, lors d’une interview accordée à la chaîne de télévision France 24 le 5 octobre 2009, a déclaré avec conviction : « La Guinée n’est pas une simple subdivision, ni un arrondissement français. » Alpha Condé, lors de la conférence internationale sur l’émergence économique en Afrique le 29 mars 2017, a insisté sur la nécessité de rompre les liens persistants avec la puissance coloniale en déclarant : « Nous sommes encore trop attachés à l’ancien colonisateur. Il est temps de couper ce cordon ombilical. » Plus récemment, le 21 septembre 2023, lors de la 78e assemblée générale des Nations unies, Mamadi Doumbouya a proclamé avec détermination : « L’ère de l’Afrique sous tutelle, la vieille Afrique, est révolue. »
Ces déclarations reflètent un engagement continu envers la souveraineté et la dignité de la Guinée. Elles montrent que l’esprit de Sékou Touré, qui a préféré la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l’esclavage, demeure vivant. La quête de la dignité et de la liberté continue d’inspirer la Guinée, tout comme elle inspire l’ensemble du continent africain. Le « Non » historique de la Guinée face à l’offre d’indépendance résonne toujours comme un symbole de résistance, d’autonomie et de détermination pour toutes les nations africaines. Dans cet esprit, la Guinée persiste, et continuera de persister, dans sa quête de dignité.
Ousmane Boh Kaba