Malvoyante, Fatouma Binta Barry admise au Bac : « l’aveugle pour moi, c’est un illettré qui ne sait ni lire, ni écrire »
Née à Conakry et originaire de la préfecture de Tougué, dans la région administrative de Labé, le périple de Fatouma Binta a commencé en région forestière. D’abord, elle fréquenta la maternelle, puis le CE1 de l’école primaire N°1 de Sérédou à Macenta. Orpheline de mère et fille d’un papa fonctionnaire à la retraite, elle rejoint le collège SOS de N’Zérékoré, après l’obtention du Certificat d’Études Élémentaires (CEE). Très attachée aux études, elle a été contrainte d’abandonner les classes, puisque victime de la cécité en 2012. Alors comment celle qui tient mordicus à devenir avocate a pu surpasser les nombreuses difficultés et décrocher le baccalauréat ? Mediaguinee.com vous plonge dans ce parcours atypique de cette malvoyante aux ambitions sans limites.
« C’est à partir du collège que j’ai eu les problèmes de vue en 2012. Cela m’est arrivé sur le chemin de l’école. Et quand j’ai perdu la vue, j’ai perdu un bon moment avant de reprendre. C’est ainsi donc que j’ai décidé de rejoindre Conakry, en 2017, pour une formation au centre de solidarité des malvoyants, sis à Taouyah », a-t-elle relaté.
L’ancienne élève du groupe scolaire ‘’Elhadj Mountaga’’ de Foulamadina, a décroché ce baccalauréat session 2023 au « Cercle des savoirs », une école primaire située à Kipé, dans la commune de Ratoma. La nouvelle étudiante dit avoir été confrontée à d’énormes difficultés dans le passé. C’est notamment comment accéder à l’école, des sujets d’évaluation et ceux du baccalauréat non transcrit en écriture braille et le manque de temps supplémentaire. Cependant, elle dit n’avoir jamais croisé les bras.
« Je vous avoue que ça n’a pas été facile. J’ai été confrontée à de multiples problèmes, mais ça ne m’a pas un jour empêchée de me battre. Et grâce à Dieu, ma persévérance a payé aujourd’hui », a-t-elle fait savoir.
Âgée de 22 ans, Fatoumata Binta a occupé le 1.262 ème rang au plan national en obtenant la mention » assez bien ». Son rêve de devenir avocate dit-elle, remonte depuis son enfance. C’est ce qui a prévalu selon elle, le choix des sciences sociales pour étudier le droit une fois à l’université.
« Depuis à bas âge, j’ai toujours eu la vocation de défendre les femmes. Mais comme j’ai été terrassée par la cécité, maintenant je me dis que j’ai eu deux couches à défendre. D’abord ces femmes et les non-voyants qui vivent dans les conditions très compliquées par manque de soutien nécessaire. Nous sommes presque abandonnés de nous-mêmes. Il n’y pas de mesures d’accompagnement et on est non plus parrainé. C’est tout à fait un calvaire et c’est très difficile pour nous d’étudier. Mais moi je me dis que le handicap ne constitue une fatalité. Car, l’aveugle pour moi c’est un illettré qui ne sait ni lire et ni écrire. Ce qui veut dire que rien n’est impossible dans cette vie. C’est pourquoi nous ne devons pas être des fardeaux pour nos familles ou être des parasites pour nos sociétés. C’est pourquoi moi j’ai choisi l’école, parce que je me dis que c’est elle qui est la lumière d’un non-voyant », pense Fatoumata Binta Barry.
« Notre fille est courageuse, elle a du cœur et elle ne veut être à la merci des gens. Elle a pris du sérieux dans ses études, que ça soit la journée ou la nuit. Elle a passé dans beaucoup d’écoles à travers Conakry. D’autres l’ont refusée mais elle a tenu tête. Elle a toujours eu une ambition de pousser des études. Et d’école en école, elle a su décrocher le baccalauréat. Elle n’a jamais voulu nous porter beaucoup de charges malgré son handicap », témoigne son oncle paternel, l’ingénieur géologue à la retraite, Amadou Baïlo Barry.
Handicapée de son état, le rejet, les difficultés, le stress, ont toujours hanté le quotidien de la demoiselle Fatoumata. Ajoutés à cela la disparition de sa maman et le refus catégorique d’un fondateur d’école dont elle a préféré taire le nom. Mais au regard de tout, dit-elle, ces faits ont au contraire été ses facteurs de motivation.
« Je me souviens bien avant que je n’aie une école normale après ma formation au centre, je suis passée dans l’une, où un fondateur a carrément refusé de me recevoir en interdisant aussi d’autres. C’est quelque chose qui m’a toujours hantée et cela me serre le cœur à chaque fois que je pense à cela. Mais au contraire, ça m’a donné le courage de toujours aller de l’avant. En tout cas, ça m’a amenée à prendre une décision pour montrer que nous aussi nous sommes capables. Dès qu’il m’a vue ce jour, il m’a toute suite dit qu’une malvoyante n’est pas admise dans son école, où selon lui, les voyants ont du mal à étudier. Il a poursuivi en me demandant pourquoi je vais étudier et qu’est-ce que je vais devenir après mes études. Imaginez ces propos d’un fondateur d’école, quelqu’un censé motiver les gens. Mais j’ai pu maîtriser mon tempérament, bien que je ne m’attendais pas à ces interrogations. Mais la conclusion que j’ai pu tirer en silence, c’est que je me suis dit qu’il est plus aveugle, parce qu’il a été incapable de voir la réalité en face de lui», a-t-elle raconté.
Elle qui s’est vite adaptée à l’écriture en braille, regrette aujourd’hui l’absence de sa mère biologique avec qui elle sollicitait tant partager ces moments de joie. Sa réussite, dit-elle, a été possible grâce aux conseils et encouragements incessants de ses parents et proches qui ont toujours été un soutien inconditionnel.
« Je profite de votre micro pour les remercier. Je me souviens de ma maman, qui, dès que j’ai eu ce handicap, du coup tombé malade. Avant qu’elle ne décède, paix à son âme, elle m’a toujours répété sans cesse me battre, parce qu’elle voyait de l’avenir en moi. Et à chaque fois que je suis confrontée à des problèmes, je pense à ses paroles et ça me redonne davantage de l’espoir, de l’énergie et le courage de me battre. De là où elle aujourd’hui, elle est très fière », a-t-elle reconnu.
L’envie de Fatoumata Binta de poursuivre les études dépasse les frontières guinéennes. Elle ambitionne d’étudier hors du pays, pour revenir servir son pays qui manque encore des cadres non-voyants. Pour atteindre ce rêve d’enfance, Fatoumata Binta demande de l’aide des autorités et de toutes les personnes de bonne volonté.
« Depuis qu’on m’a annoncé mon admission, je ne cesse de penser à comment me procurer de la documentation nécessaire. Car, les grands effectifs dans les universités m’inquiètent. Depuis au collège, j’ai été obligée de chercher les romans physiques et électroniques, parce que nous n’avons pas de romans adaptés et transcrits en braille. Personnellement, je me bats grâce à l’ordinateur où j’ai stocké mes brochures et mes romans. À défaut, tu es obligé de chercher quelqu’un pour te lire les documents, te permettant d’être au même niveau que tes amis. En classe, je suis obligée d’enregistrer les cours que je réécoute une fois à la maison et faire mon propre résumé. Je sais qu’une fois à l’université, ça va demander un autre effort. C’est pourquoi je lance un appel solennel aux autorités afin qu’elles puissent m’aider pour que je fasse l’université dans les conditions les meilleures », a sollicité Fatoumata Binta Barry.
Pour davantage l’honorer et l’accompagner, la famille tient également à ce qu’elle parte étudier à l’étranger. À défaut, trouver un bon emploi au pays. C’est pourquoi son oncle paternel sollicite l’appui du ministère de l’Action sociale, en termes de fournitures, mais également en termes de remède à son handicap, ce après plusieurs endroits sillonnés sans succès.
Sâa Robert Koundouno
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