L’acte est passé quasiment inaperçu, à part pour les professionnels de ce secteur, pourtant il vient apporter un changement majeur dans le domaine pétrolier et plus précisément celui de l’avitaillement des navires en produits pétroliers. Le terme exact pour qualifier les conséquences de cet acte serait d’ailleurs de dire qu’il vient rétablir la Guinée dans ses droits.
Il s’agit d’un décret signé le 18 novembre 2022 par le Colonel Mamadi Doumbouya et référencé D/2022/0547/PRG/CNRD/SGG qui vient réglementer l’activité d’avitaillement dans notre pays.
Pour les profanes, l’avitaillement (appelé aussi « soutage ») des navires est la procédure qui consiste à fournir à ce navire tous les moyens nécessaires à son fonctionnement, notamment le carburant et les lubrifiants. Cet avitaillement s’effectuantcertes dans les eaux territoriales guinéennes mais en haute mer, il est soumis à un régime douanier particulier dont ne peuvent bénéficier que ceux qui sont légalement agréés dans les conditions qu’instaurent désormais le décret du 18 novembre 2022.
Cependant cette activité dotée d’un régime douanier spécifique a connu diverses réglementations depuis une vingtaine d’années.
Le document le plus lointain que notre enquête a retrouvé relativement à ce régime date de l’année 2000. Il s’agit de l’arrêté n° 914/MEF/MICIPSP/00 du 10 avril 2000 du Ministère du Commerce, de l’Industrie et de la Promotion du Secteur Privé. Ce document réservait le régime « avitaillement » aux personnes physiques ou morales de droit guinéen à condition qu’elles signent avec l’administration des Douanes un contrat spécial dit « Contrat pour l’avitaillement des navires »
Par ailleurs, ce même Arrêté indiquait que les carburants et lubrifiants destinés à l’avitaillement des bateaux de pêche et autres navires de passage à Conakry étaient soumis au régimede taxation douanière.
Cette réglementation était conforme à ce qui se faisait dans d’autres pays côtiers tels que la Côte d’Ivoire ou le Sénégal et avait le mérite de préserver les intérêts des opérateurs économiques guinéens tout en garantissant des revenus douaniers substantiels.
C’est pourquoi la surprise a été grande pour les acteurs de ce secteur lorsqu’en 2019 le Ministère des Hydrocarbures et celui des Pêches de l’Aquaculture et de l’Économie Maritime ont signé́ un nouvel Arrêté (AC/2019/5806/MH/MPAEM) dont le libellé donnait pour ainsi dire l’exclusivité de l’avitaillement dans les eaux guinéennes à une société de droit béninois dénommée OCTOGONE SA. En effet, en faisant totalement abstraction de l’arrêté n° 914 de 2000 et en n’accordant cet agrément qu’à OCTOGONE, l’État guinéen lui réservait de fait le monopole de l’activité d’avitaillement.
On se souvient d’ailleurs que cette entreprise qui fournissait également du fuel lourd à EDG, avait suscité beaucoup d’interrogations dans le milieu pétrolier en Guinée et dans les médias pour ses accointances avec des proches du Président Alpha Condé. Le fait qu’OCTOGONE ne soit même pas immatriculée en Guinée avait notamment interpellé des cadres de l’administration fiscale puisque les activités de cette société échappaient totalement aux taxes et impôts en Guinée sans compter le flux de devises généré par son activité de soutage qui échappait entièrement au système financier guinéen.
C’est sans doute après avoir constaté ce manque à gagner pour le budget national et, surtout, l’impossibilité pour les nationaux de mener les activités d’avitaillement que les nouvelles autorités ont décidé de corriger la situation en adoptant le décret du 18 novembre 2022.
La nouvelle réglementation qui s’applique désormais a le mérite de la clarté en instaurant un système transparent et rigoureux d’octroi d’agrément. En effet, il met une place une « commission d’agrément » et soumet les candidats auxdits agréments à des obligations strictes dans le cadre d’une procédure qui ne laisse pas la place aux non-professionnels. Le plus important dans les conditionnalités imposées par le décret n° 0547 est qu’il protège les entreprises de droit guinéen en ce qu’il exige que l’agrément ne puisse être donné qu’aux « personnes morales dont le capital social est détenu au moins à 51% par des associés ou actionnaires de nationalité guinéenne ». La réglementation de l’avitaillement en Guinée marque ains une étape importantedans la promotion du contenu local. Du moins sur le papier….. car en ce qui concerne l’application effective des directives de ce décret, on attend de voir ce qui se passera dans la pratique. Trop souvent les multinationales étrangères parviennent à contourner les mesures protectrices des intérêts guinéens par des artifices juridiques ou tout simplement en achetant la complaisance de ceux-là même chargés de faire respecter la loi. Bravo donc au CNRD pour cet acte de « Refondation » et encouragement pour son respect par les administrations concernées.
Source : guineenews