Les conflits qui opposent éleveurs et agriculteurs sont un phénomène social récurent dont les répercussions sont une menace pour la vie, la coexistence, et l’activité de ces acteurs, en raison de leur complexité. Le dernier cas en date ayant couté la vie à un paisible bouvier de la préfecture de Lola en ce début d’année 2023 et provoqué l’émoi chez les populations, témoigne bien de cette difficulté.
Ce qui a d’ailleurs valu le déplacement spontané des chefs des départements de l’Agriculture, de l’élevage et de l’Administration du territoire qui se sont rendus dans cette cité en vue de contrecarrer les mouvements sociaux qui en ont résulté et, par ce biais, de limiter leurs effets collatéraux malencontreux sur la cohésion sociale et le bien-être des populations.
Les faits montrent cependant que les efforts de conciliation déployés par les organisations corporatives agricoles, l’administration agricole, et les juridictions publiques, pour mettre un terme à ces malentendus, reposent généralement sur les valeurs sociales, humaines et politiques dont les effets dissuasifs sont limités dans la recherche de solutions durables.
La faiblesse de ces aménagements s’explique en partie par le fait qu’ils ne prennent suffisamment pas compte de la limitation des ressources naturelles que chacun de ces acteurs désire se servir et contrôler. C’est le cas par exemple de l’eau qui se raréfie en saison sèche, des herbes et autres essences végétales nécessaires à l’alimentation des bœufs et autres animaux domestiques qui disparaissent sous l’effet des feux de brousse et de l’extrême ensoleillement.
Il y a également l’effet du changement climatique qui modifie le cycle et la durée des saisons. Ce phénomène, couplé avec l’expansion des activités non agricoles et l’accroissement de la population qui occupent de nouvelles terres, restreignent les espaces agraires disponibles pour l’activité des éleveurs et des agriculteurs à la fois. Ce qui fait de celles-ci des ressources limitées dont l’accès et le contrôle deviennent des motifs de confrontation entre communautés, villages, et/ou individus. Ces faits influencent l’attitude et le comportement des éleveurs et des agriculteurs dans la recherche de solutions pour contrer les effets nocifs de ces phénomènes sur leurs animaux et leurs vivres.
C’est ainsi que la recherche de points d’eau pour abreuver les animaux, l’exploration des aires de pâturages pour les faire paitre, deviennent les principaux défis saisonniers auxquels le bouvier s’atèle à relever en saison sèche. Ce qui le conduit par exemple à orienter ses bêtes vers tout espace qu’il estime receler ces ressources, sans généralement se soucier des conséquences de l’envahissement de cet endroit par ses animaux. En saison hivernale, par contre, la pression pour ces ressources devient plus faible. Il exerce alors moins de contrôle sur le mouvement de ses animaux qu’il laisse divaguer ici et là.
L’agriculteur lui se préoccupe principalement de la sécurisation de ses cultures contre les dommages susceptibles d’être causés sur ces vivres par les bœufs et les bêtes sauvages. Pour se prémunir contre cette menace permanente, il organise la surveillance diurne et nocturne de ses champs pour empêcher ces bêtes d’y pénétrer. Notons que c’est sur la taille, le rendement et la diversité des cultures qu’il pratique que l’agriculteur escompte son revenu annuel futur et détermine la couverture de ses besoins alimentaires. D’où sa détermination à empêcher par tous les moyens la survenue de ces risques.
Il ressort de ce qui précède que les solutions susceptibles d’éliminer ou, tout au moins, d’atténuer la fréquence et l’intensité des conflits qui naissent de ces préoccupations quotidiennes de l’éleveur et de l’agriculteur, doivent intégrer les éléments économiques qui profitent à chaque élément. La création de Parcs Animaliers Villageois (P.A.V) aux services payables où les animaux seront fixés en toute saison s’avère intéressante à explorer à ce titre. Les étapes préliminaires de cette démarche peuvent être les suivantes:
- L’identification par village, d’un ou de plusieurs sites devant servir de Parcs Animaliers Villageois (P.A.V), avec l’assistance des techniciens de l’élevage;
- La mise en place d’un comité de surveillants dirigé par un administrateur de P.A.V ;
- L’organisation de l’inventaire des animaux du P.A.V pour déterminer les effectifs et les besoins futur en assistance publique;
Il est à noter que les chaines de valeurs qui naitront de l’activité des P.A.V feront de ceux-ci des Centres d’Affaires Animaliers Ruraux (C.A.A.R) grâce aux transactions qui s’établiront entre divers acteurs tels que: les agriculteurs, les éleveurs, les transporteurs, les marchands, les Micro finances, les assurances, les vétérinaires et autres opérateurs. Ce qui fera des P.A.V la source de richesse communautaire pour tous, du fait des emplois multiples qu’ils généreront pour les jeunes et les femmes.
Outre ces avantages socio-économiques évidents, la fixation des bœufs dans les P.A.V, réduira les accidents de morsures de serpents auxquelles les bouviers sont exposés. En fin, elle éloignera le spectre des conflits tout en renforçant la traditionnelle complémentarité des activités rurales de l’éleveur et de l’agriculteur. Les structures de gouvernance suscitées, doivent tester ce modèle avec l’appui des Organisations Non Gouvernementales et /ou des bailleurs de fonds.
Mamy KEITA,
Agroéconomiste à la retraite
Tél. 620 88 49 98