Conflits, changements climatiques et COVID-19 : un environnement propice aux violences sexuelles et sexistes
Auteurs : Très Hon. Helen Clark, Présidente du Conseil d’administration de PMNCH ; Michelle Bachelet, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme & S. E. José Manuel Albares, Ministre espagnole des Affaires étrangères.
Le viol est utilisé dans les conflits comme une stratégie militaire délibérée et est redouté par les femmes et les jeunes filles dès que les tirs retentissent.
Elles ont raison de s’inquiéter. Il est important de souligner à quel point le viol et les autres formes de violence sexuelle et sexiste sont devenus monnaie courante dans les contextes de crises humanitaires dans le monde entier.
Les cas de violences sexuelles liées aux conflits ne cessent de se multiplier dans le monde. En 2022, le Conseil de sécurité des Nations unies a rapporté que 49 groupes sont régulièrement soupçonnées de viols ou d’autres formes de violence sexuelle dans des zones de conflit armé ou d’en être responsables.
Des témoignages semblables à celui de cette femme originaire de l’Equatoria-Central, au Soudan du Sud, sont malheureusement trop fréquents. Attaquée par des soldats dans sa propre maison, elle raconte comment « Après qu’un homme m’a mordue, un autre a pointé son arme directement sur ma poitrine et m’a dit que si je ne les acceptais pas, il me tuerait ». Ses enfants, terrifiés, étaient à proximité pendant que cette violation des droits humains se perpétrait.
Les actes de violence sexuelle et sexiste se développent chaque fois qu’un conflit armé éclate, car la peur, le chaos et la confusion offrent une couverture parfaite aux auteurs de ces actes. Les conflits exacerbent les inégalités entre les sexes qui touchent de manière disproportionnée les femmes et les filles dans le monde entier, et aggravent les niveaux de violence dont elles sont victimes. L’effondrement des normes sociales, des contraintes juridiques et des protections communes donne aux hommes armés la possibilité de s’attaquer aux femmes, aux filles et aux adolescents vulnérables. Il s’agit souvent d’une manœuvre préméditée visant à terroriser la population.
Les conflits et les catastrophes naturelles brisent les familles, déplacent les femmes, les filles et les adolescents et les forcent à se réfugier dans des camps de réfugiés et d’autres lieux peu sûrs. Ils les éloignent de leurs communautés, des structures sociales et des réseaux de soutien, ainsi que des services sociaux et de santé.
Dans ces contextes, elles sont beaucoup plus exposées à des actes de violence basés sur le genre et sont extrêmement vulnérables aux atteintes physiques, sexuelles et psychologiques. Par exemple, en 2021, les violences à l’égard des femmes et des filles représentaient 97% des cas de violence sexuelle liés aux conflits signalés.
Les femmes, les enfants et les adolescents en situation de migration sont également exposés à un risque accru de violence sexiste en raison de l’absence de canaux de migration sécurisés et réguliers. Cette situation est exacerbée par un accès inadéquat aux services et aux informations, notamment sur les droits, ainsi que par les barrières linguistiques et par le manque ou l’absence de possibilités de travail décent et d’éducation. Une étude menée auprès des migrants et des réfugiés à la frontière entre la Colombie et le Venezuela a permis de classer la gestion des soins et la prévention des actes de violence sexuelle et sexiste parmi les dix principaux besoins non satisfaits en matière de santé sexuelle et reproductive.
Selon les résultats issus de 19 études réalisées dans 14 pays, 21 % des femmes déplacées ont subi des violences sexuelles. Toutefois, le chiffre réel est probablement beaucoup plus élevé, car l’enregistrement des incidents est incomplet et les femmes ont souvent peur de parler, craignant la stigmatisation sociale.
Lorsqu’elles se retrouvent dans une situation désespérée, les femmes, les filles et les adolescentes peuvent être contraintes d’échanger des rapports sexuels contre de la nourriture, de l’argent et d’autres ressources nécessaires à leur survie. Jusqu’à un tiers des filles vivant dans un contexte humanitaire déclarent que leur premier rapport sexuel a été forcé.
Mais le conflit n’est pas le seul moteur des violences sexuelles et sexistes. Les urgences sanitaires, notamment le COVID-19 et les catastrophes naturelles, dues au changement climatique, sont également des facteurs importants. Une étude sommaire initiée par ONU Femmes a révélé que plus de la moitié des femmes interrogées ont déclaré qu’elles-mêmes ou des personnes de leur entourage avaient subi des violences physiques et verbales depuis le début du COVID-19.
Le COVID-19 a perturbé les services de santé de base et détourné des ressources vers la réponse à la pandémie. Les obstacles de longue date d’accès aux services tels que la stigmatisation, la peur des représailles et la faiblesse des institutions de l’État de droit, ont été exacerbés par la pandémie. En outre, les restrictions de mouvement dues au COVID-19 ont continué à empêcher les survivants de violences sexuelles d’accéder aux services essentiels.
Le changement climatique et les catastrophes naturelles sont à l’origine de la pauvreté, des déplacements, des conflits et de la déscolarisation. Ils conduisent indirectement à une hausse des cas de mariages d’enfants, qui sont reconnus dans le droit international comme une forme de violence basée sur le genre.
Malheureusement, le mariage des enfants n’est qu’un seul outrage parmi tant d’autres. Au cours de l’année 2018, l’ONU a confirmé plus de 24 000 violations graves à l’endroit des enfants et des adolescents dans 20 pays, notamment le recrutement d’enfants soldats, des meurtres ou des mutilations, ainsi que des agressions ou des enlèvements sexuels.
Action ciblée
Ces actes atroces ne disparaîtront pas d’eux-mêmes. Nous devons de toute urgence mener des actions et des interventions ciblées pour prévenir et gérer les actes de violence sexuelle et sexiste, notamment dans les milieux humanitaires et fragiles dans le strict respect du droit international relatif aux droits de l’Homme et du droit international humanitaire. Les survivants ont besoin de services de santé sexuelle et reproductive spécifiques, ainsi que de soins sociaux. Or, les faits montrent que ces soins ne sont souvent pas disponibles. Ils réclament également justice et responsabilité contre les auteurs de ces crimes. Pourtant, la plupart de ces crimes restent impunis, les responsables ne sont inquiétés et les survivants sont laissés sans réparations ni recours.
Au niveau mondial, il est nécessaire de déployer des efforts multilatéraux concertés afin d’accélérer la lutte contre la violence sexuelle et sexiste et de renforcer la collaboration internationale en faveur d’une santé et de droits sexuels et reproductifs complets pour tous les individus, y compris la prévention de la violence sexuelle et sexiste. Nous devons également garantir des réparations adaptées au genre et à l’âge de tous les survivants, conformément au droit international relatif aux droits de l’homme et au droit international humanitaire.
Au niveau national, les pays doivent établir des cadres favorables et protecteurs, et concentrer les ressources pour protéger la santé physique et mentale des réfugiés et des autres personnes exposées à la violence personnelle et au déplacement en raison d’un conflit. Les mesures doivent s’inscrire dans le cadre d’un programme global pour la santé et les droits sexuels et reproductifs, qui protège l’accès aux services de santé sexuelle et génésique dans tous les contextes, y compris la réponse humanitaire. Des mesures visant à promouvoir l’obligation de redevabilité, à garantir l’accès à la justice et à la réparation pour les survivants, et à lutter contre l’impunité des auteurs de ces actes, sont également nécessaires.
Les pays doivent consacrer des investissements à long terme et des programmes de protection sociale afin d’intégrer cet agenda dans les actions humanitaires d’urgence et dans la programmation de tous les secteurs. Cela inclut des investissements dans le renforcement des capacités, le suivi et l’analyse des données, la formation essentielle des travailleurs de la santé et la mise en place d’un environnement de travail favorable et sécurisé.
Nous sommes confrontés à un fléau mondial de violence sexuelle et sexiste. Elle se nourrit du chaos anarchique des conflits, des perturbations sans précédent du COVID-19 et de la destruction croissante causée par les changements climatiques.
Le Comité des Nations unies pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes a élaboré des orientations sur les dimensions sexospécifiques de la réduction des risques de catastrophe sur les femmes dans le contexte des changements climatique et dans la prévention des conflits, pendant et après les conflits. Nos actions doivent être guidées par les principes clés des droits de l’homme – égalité et non-discrimination, participation et autonomisation, redevabilité et accès à la justice. Nous disposons des outils nécessaires pour mettre fin à ce fléau, mais cela va nécessiter une approche de partenariat intégrée à tous les niveaux. Aucun maillon ne fonctionnera seul. Aussi, chaque secteur doit-il contribuer à l’éradication des violences sexuelles et sexistes dans les conflits et les situations humanitaires.
NB : La version originale de cette tribune, en anglais, a été publiée par le BMJ