Bras de fer entre le ministre de la Justice et l’AMG : la lecture de Me Mohamed TraorĂ©…

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đź”´TRIBUNE] Par arrĂŞtĂ© n°1991 du 16 aoĂ»t 2022, le ministre de la Justice, Garde des Sceaux a suspendu de ses fonctions le magistrat Mohamed Diawara, Procureur de la RĂ©publique près le Tribunal pour Enfants, par ailleurs,PrĂ©sident de l’Association des magistrats de GuinĂ©e, pour « manquement grave aux devoirs de son Ă©tat, Ă  l’honneur, Ă  la dĂ©licatesse ou Ă  la dignitĂ© de sa profession et acte contraire Ă  son serment de magistrat « .
Pour un magistrat, ce sont des griefs d’une extrĂŞme gravitĂ©. Le magistrat mis en cause peut nĂ©anmoins s’estimer heureux puisqu’Ă  ce stade, rien n’est Ă©tabli contre lui et que le Garde des Sceaux va devoir rapporter la preuve des faits qu’il articule contre lui devant le Conseil supĂ©rieur de la magistrature qu’il (le ministre) a l’obligation de saisir dans le dĂ©lai de trente jours, faute de quoi le magistrat suspendu reprend d’office ses fonctions.

Dans la foulĂ©e de cette dĂ©cision, le Garde des Sceaux a procĂ©dĂ©, par l’arrĂŞtĂ© n°2116 du 25 aoĂ»t 2022, au remplacement de M. Mohamed Diawara par M.Lamine KonatĂ© sur la base du consentement de celui-ci selon ledit arrĂŞtĂ©.

D’entre de jeu, il faut noter que le ministre de la Justice peut surprendre pour une durĂ©e qui ne peut excĂ©der 30 jours un magistrat faisant l’objet d’une plainte ou lorsqu’il est informĂ© d’un fait de nature Ă  entraĂ®ner une sanction disciplinaire. C’est ce que dit en substance l’article 38 du Statut des magistrats.

Mais il se pose une question : le ministre de la Justice peut-il lui-mĂŞme remplacer le magistrat suspendu ?

Les magistrats sont nommés par décret du Président de la République, sur proposition du ministre de la Justice, après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature.
Toute nomination de magistrat sans l’avis conforme du CSM est nulle.

Ce sont des règles importantes qui ont Ă©tĂ© introduites dans le droit guinĂ©en par la Constitution de 2010. Le constituant avait pensĂ© Ă  l’Ă©poque que c’Ă©tait l’un des meilleurs moyens de consolider l’indĂ©pendance des magistrature.
Au lendemain du 5 septembre 2021, le PrĂ©sident de la Transition a reconduit par voie d’ordonnance les mĂŞmes règles.

L’article 20 alinĂ©a 1er du Statut des magistrats dispose que les magistrats sont inamovibles. Et le mĂŞme texte dĂ©finit Ă  l’alinĂ©a 2 ce qu’il faut entendre par le terme  » inamovibles ». Cela veut que les magistrats « ne peuvent, sans leur consentement prĂ©alable, recevoir une affectation nouvelle, mĂŞme par voie d’avancement. »
Par cette disposition, le législateur a voulu empêcher certaines affectations qui se présentent comme un avancement mais qui sont en réalité un artifice pour affaiblir par exemple des magistrats gênants.

L’inamovibilitĂ© au sens de loi guinĂ©enne n’est donc pas celui qu’on lui donne dans le système amĂ©ricain oĂą elle signifie que les magistrats de la Cour suprĂŞme sont nommĂ©s Ă  vie.

Aux termes de l’article 20 alinĂ©a 3 du Statut des magistrats :  » Toutefois, lorsque les nĂ©cessitĂ©s de service l’exigent, les magistrats du siège peuvent ĂŞtre dĂ©placĂ©s par l’autoritĂ© de nomination, sur avis conforme et motivĂ© du Conseil supĂ©rieur de la magistrature « .
L’autoritĂ© de nomination n’est autre que le PrĂ©sident de la RĂ©publique. Le ministre de la Justice n’a qu’un rĂ´le de proposition en matière de nomination de magistrat.

Dans la pratique, les ministres de la Justice qui ont usĂ© du pouvoir de suspension que leur reconnaĂ®t l’article 38 du Statut des magistrats ont toujours procĂ©dĂ© eux-mĂŞmes au remplacement du magistrat suspendu. Or, l’article 20 ne prĂ©voit pas cette possibilitĂ©. Certains ont souvent invoquĂ© les dispositions de l’article 82 du Statut des magistrats. Mais ce texte permet simplement au ministre de la Justice de dĂ©lĂ©guer par arrĂŞtĂ© un magistrat de mĂŞme grade titulaire d’autres fonctions lorsqu’il y a insuffisance de l’effectif des magistrats dans une juridiction. Mais l’application de cet article est soumise aux conditions suivantes:

  • L’insuffisance du nombre de magistrats dans une juridiction pour assurer la continuitĂ© du service public ;
  • L’indisponibilitĂ© dĂ»ment constatĂ©e d’un magistrat d’une juridiction Ă  juge unique ;

Ces conditions ne suffisent pas. Pour que le Garde des Sceaux puisse prendre un arrĂŞtĂ© de dĂ©lĂ©gation d’un magistra sur le fondement de cet article, encore faut-il qu’il soit par premier prĂ©sident ou le procureur gĂ©nĂ©ral de la Cour d’appel. PrĂ©cision importante, la dĂ©lĂ©gation ne doit pas excĂ©der six mois.

On voit bien qu’il ne s’agit pas d’un pouvoir de nomination mais de dĂ©lĂ©gation.

Il est temps de mettre un terme Ă  cette pratique illĂ©gale Ă  laquelle se sont livrĂ©s quasiment tous les ministres de la Justice. Il faut surtout Ă©viter la posture qui consiste Ă  fermer les yeux puisque les prĂ©cĂ©dents cas n’avaient pas Ă©tĂ© dĂ©noncĂ©s. Peut-ĂŞtre qu’on n’avait pas pris suffisamment de temps pour interroger les textes. En tout Ă©tat de cause, « l’esprit CNRD », s’il existe rĂ©ellement au-delĂ  des discours, consiste Ă  ne pas reproduire les erreurs du passĂ© y compris le mĂ©pris de la loi.

Me Mohamed Traoré, ex-bâtonnier (in page Page Facebook)

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