L’ANIES, la couverture maladie et le coronavirus : quel lien et quelle réponse pour notre pays ?
Bernie Sanders le sénateur américain de l’Etat du Vermont et candidat à la présidentielle américaine de novembre dans la primaire démocrate a toujours dit ceci : « La couverture sociale est un droit fondamental, pas un privilège ». Cette phrase du secteur candidat n’a jamais porté tout son sens que la période que nous vivions à l’heure actuelle caractérisée par la pandémie de coronavirus qui fait ravage dans le monde entier.
Face à l’ampleur de la maladie du Covid-19 et de ses conséquences sur le système socio-économique mondial, il me parait indispensable de commencer à penser l’après corona. Il s’agit de tirer toutes les leçons nécessaires à l’organisation du système institutionnel et de repenser les politiques publiques en matière de santé.
Dans son discours du 12 mars dernier consacré à la riposte contre le coronavirus dans son pays, le président Macron chantre des politiques néolibérales, changeait tout d’un coup de paradigme idéologique pour faire l’éloge de l’Etat providence. Il affirmait, je le cite : « Ce que révèle d’ores et déjà cette pandémie, c’est que la santé gratuite, sans condition de revenus, de parcours ou de profession, notre État-providence, ne sont pas des coûts ou des charges, mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe », et de poursuivre : « qu’il ait des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché ». Il a fallu donc cette crise pour montrer à tous les gouvernements qu’un modèle de gouvernance est désormais révolu, et que la mondialisation aveugle et son corolaire d’un système fait d’individualisme, de consumérisme doit céder place au collectivisme et à un plan général qui favorise les politiques sociales.
Dans une lettre ouverte que j’ai adressée en septembre 2019 au Premier ministre Kassory Fofana après la publication de sa lettre de cadre budgétaire : https://www.guinee7.com/lettre-au-premier-ministre-de-la-securite-sociale-pour-tous-pour-une-croissance-inclusive-par-alexandre-nainy-berete/, j’appelais à la mise en place à travers l’ANIES (l’agence nationale d’inclusion économique et sociale) d’une véritable couverture maladie en Guinée. Je ne me réjouis guère de l’apparition de cette pandémie de Covid-19 qui n’épargne aucun pays du monde, fussent-ils les plus puissants, cependant, la dimension qu’indique cette maladie pour tous les pays (c’est-à-dire que la priorisation des politiques sociales au détriment des règles absurdes des organismes financiers) me conforte dans mes convictions et dans ma proposition.
L’ANIES est un bel instrument de gouvernance. Si la plupart des débats autour des politiques publiques se focalisent sur les objectifs annoncés et sur les résultats obtenus, chose qui est normale pour tout acteur public, cependant les instruments de gouvernance publique portent en eux des dimensions considérables (symbolique, sociale, rapport gouvernant-gouverné) et les effets que ces instruments peuvent avoir sur la vie des citoyens, c’est que révèle le livre « Gouverner par les instruments » de Patrick le Galès et Pierre Lascoume.
Je reviens aujourd’hui encore sur cette proposition en appelant à l’élargissement de l’ANIES en vue de la mise en place d’une véritable politique de COUVERTURE MALADIE UNIVERSELLE pour tous les guinéens qui sera pilotée par la même structure.
L’ANIES qui a pour mission la conception, le pilotage et l’animation de la politique nationale d’inclusion dans ses trois principales dimensions : économique, sociale et financière. Pour garrotter le taux de pauvreté en Guinée (60% de la population, et plus de 65% en milieu rurale soit 2/3 de la population guinéenne). J’en appelle au sortir de la crise de coronavirus à la mise en place d’une Couverture maladie Universelle. L’objectif qui consiste à orienter 4% du PIB vers les 40% les plus pauvres de notre pays ne peut être atteint sans la mise en place d’un système de protection sociale qui permettra au guinéen le plus modeste de se soigner sans se faire saigner.
La proposition consiste à faire des politiques de santé la priorité absolue des cinq prochaines années dans notre pays et à allouer au secteur de la santé le plus gros budget des portefeuilles ministérielles. Elle consiste, entre autres, à l’accélération de la construction des CHU des capitales régionales pour soulager les hôpitaux régionaux et à l’élargissement de la palette de l’ANIES.
- La construction et l’équipement des hôpitaux moderne dans tout le pays
La crise du coronavirus a donné pour l’instant comme seule solution miracle à disposition des Etats, le repli sur soi en fermant les frontières et en optant pour le confinement général des populations dans le but de couper la chaine de propagation du virus. Ce qui veut dire qu’en fermant les frontières, chaque pays se rabatte sur son système de santé pour tenter de juguler la maladie. A ce niveau, il faut dire qu’en Afrique le secteur de santé a très longtemps été abandonné (pas de politique publique claire, manque de structures sanitaires et d’équipements adéquats, un personnel peu qualifié, etc.).
Si la Guinée peut se targuer de son expérience de l’épidémie d’Ebola qui a fragilisé et a mis à rude épreuve son système de santé (2014-2015) en révélant au passage toutes les failles qu’il comportait, des défaillances restent de nos jours à corriger. Des efforts ont été certes faits pour doter le pays, notamment les sous-préfectures en centre de santé amélioré et la construction de centres de traitement épidémiologique. Cependant, le rapport entre le nombre de la population et la capacité de prise en charge est loin d’être à un niveau acceptable.
C’est pourquoi, désormais la priorité des priorités doit être la santé en y consacrant plus de 20% du budget national. Les projets de construction des CHU modernes dans les capitales régionales doivent connaitre un coup d’accélérateur pour quitter le stade de simples projets à l’étude pour être des actes concrets. La construction de ces CHU couplée à la rénovation et à l’équipement des hôpitaux régionaux déjà existants peuvent permettre à notre pays d’avoir des structures hospitalières satisfaisantes. Cette construction des infrastructures sanitaires doit être accompagnée de politique sanitaire adéquate.
- L’instauration d’une politique de couverture maladie universelle
La question existentielle que se posent les guinéens n’a pas encore été réglée : A quel prix se faire soigner dans un contexte de pauvreté ?
Dans plusieurs structures sanitaires notamment à l’intérieur du pays, quand un malade arrive à l’hôpital, la première chose exigée est le paiement des frais d’hospitalisation et de soins avant toute prise en charge du malade. De nombreux guinéens ont perdu la vie à cause de cette tendance fâcheuse due d’une part, au manque de moyens mis dans les hôpitaux publics et d’autre part, à la corruption de certains médecins.
Pour renverser cette tendance et mettre l’humain au cœur des soins de santé, et donc au cœur des politiques publiques de santé, je suggère la création d’une carte de santé. En quoi va-t-elle consister ?
Elle consistera à doter chaque famille d’une base de moyens financiers pour se soigner en cas de maladie ou de problème de santé. Ainsi chaque famille sera dotée d’une carte de santé familiale (CSF). L’objectif ici ne sera pas de donner de l’argent à une famille mais de lui permettre d’aller se faire soigner à moindre coût.
Cette carte de santé (CSF) sera dotée d’une base de fonds de 60% au moins. C’est-à-dire si les frais de soins d’un membre de la famille se situe à hauteur de 100.000 FG par exemple, 60% de ce montant, ce qui équivaut à 60.000 FG soit à la charge de l’Etat et les 40% reviennent à la famille du patient. Dans la phase opérationnelle de l’ANIES, il est indiqué que chaque bénéficiaire doit recevoir une carte biométrique. Au-delà de ce recensement individuel des plus pauvres, on peut faire des cartes biométriques pour chaque famille à travers une opération de recensement un peu comme à l’image du RGP (recensement général de la population). Je rappelle encore une fois qu’il ne s’agit pas de donner de l’argent en espèce à une famille, puisque la part remboursée par l’Etat est à verser directement aux structures de soins qui reçoivent le malade, et à la pharmacie où il paie ses médicaments, qui seront pour les plus essentiels remboursés (les antibiotiques, les médicaments de grande consommation) à la même hauteur, soit 60%.
Une telle politique peut avoir des effets boule de neige sur les autres problématiques de santé publique à savoir : l’automédication et l’achat de médicaments de rue. En prenant en charge une partie des soins de la population et en subventionnant le médicament, on lutte par voie de conséquence contre le phénomène de l’automédication récurrent dans nos sociétés, qui cause plusieurs décès par an, et on luttera efficacement contre la floraison des faux médicaments sur les marchés.
L’autre avantage, est que par cette politique on poussera les gens à privilégier les consultations des professionnels de santé au lieu d’aller voir des charlatans, des vendeurs d’illusions. Par le même mécanisme, on poussera la population à s’approvisionner en médicament dans les pharmacies agrées par l’Etat puisqu’on ne sera pas remboursé quand on achète son produit dans la rue. Et de cette manière, les prescriptions médicales seront aussi encouragées. Un citoyen va préférer aller acheter un médicament à la pharmacie quand il sait qu’il l’aura à moitié prix que d’aller l’acheter au prix normal chez le marchand ambulant du quartier. C’est aussi une question de pragmatisme.
Une telle politique publique réduira substantiellement le taux de pauvreté dans notre pays et améliora la qualité de notre système de santé. La force d’un Etat ne doit pas se mesurer à la puissance de son armée, mais sa force doit résider dans sa capacité à protéger ses citoyens à travers des services publics sociaux de base.
Ce qui est sûr et certain, c’est qu’au sortir de cette crise mondiale, plus rien ne sera comme avant. Les équilibres mondiaux seront bouleversés, les derniers d’hier peuvent être les premiers de demain, la géopolitique mondiale actuelle me pousse à le dire. Un nouveau paradigme des relations internationales est en phase de construction…
Par Alexandre Naïny BERETE, étudiant en master 2 de droit Social.