« Ils ont mis le feu dans la maison et ils ont brûlé les deux +vieilles+ (personnes) qui étaient dedans. Tout a brûlé », se lamente Désiré Zouzou Kouamé, menuisier, debout sur les restes de sa demeure familiale, évoquant la mort de ses deux tantes.
Neuf personnes sont mortes et au moins 84 ont été blessées à Beoumi, petite ville du centre de la Côte d’Ivoire secouée par des violences ethniques pendant trois jours cette semaine entre populations autochtones (Baoulé) et allogènes (Dioula ou Malinké, ressortissants du Nord).
Une altercation entre un chauffeur de taxi-brousse (malinké) et un conducteur de moto-taxi (baoulé) a dégénéré mercredi en bataille rangée dans la ville puis les villages avoisinants, selon les témoins.
Les affrontements se sont étendus au village de Kongonoussou séparé de la ville par un pont sur un barrage.
« Jeudi, aux environs de 9h, (…) j’ai vu une foule qui venait de Béoumi. Des jeunes malinkés armés de gourdins, de machettes et de fusils calibre 12… Ils ont commencé à tirer, j’ai couru jusqu’à la maison. J’ai pu prévenir ma cousine qui est sortie avec ses deux enfants », raconte Désiré Kouamé, un Baoulé, qui explique avoir été blessé au dos quand il a « voulu rentrer pour faire sortir ses (mes) deux+ vieilles+ ».
Une fois les assaillants partis, Désiré est revenu à la maison en feu et a pu sortir les corps calcinés de ses tantes Zouzou Wô Ngo (95 ans) et Juliette Yobouet (75 ans).
La petite maison de brique est calcinée, il n’en reste rien ou presque, des ustensiles de cuisine sont sur le sol, noircis par la fumée..
« On a tout perdu », lâche-t-il, hagard.
La maison de l’instituteur est aussi partie en fumée. Au milieu de ce qui était le salon, traine la carcasse d’une moto.
« Ils l’ont attaqué à la machette et lui ont tiré deux balles dans les jambes. Tout ça parce que c’est un Baoulé », jure un villageois.
Des centaines de militaires et gendarmes ont été déployés dans toute la zone pour éviter de nouveaux accrochages et affrontements. La tension reste vive entre les deux communautés qui se regardent en chien de faïence. Beaucoup veulent encore en découdre.
– « Ce n’est pas fini » –
« Ce n’est pas fini », murmurent des jeunes.
Dans un quartier malinké de Béoumi, c’est la même désolation mais aussi les mêmes tensions et rancoeurs.
« C’était un sauve qui peut. Eux, ils venaient pour bruler notre mosquée, donc il fallait une auto-défense et nous sommes partis en renforts », assure Abou Ouattara, éducateur sportif.
« S’il y a de l’huile sur le feu aujourd’hui, c’est parce que eux ont commencé à sortir les vraies armes (fusils) pour tirer sur nous », dit-il.
« Avant c’était les coups de poing ou de gourdin. Vous êtes venus avec les armes. Nous on fait comment? On peut pas attendre qu’ils nous abattent comme du bétail », ajoute-t-il « Ils nous disent de quitter Béoumi. On va aller où? ».
Des membres de la communauté malinké sont toujours portés disparus, selon des habitants.
Chacune des deux communautés vit retranchée dans ses quartiers. Le marché est fermé, de même que tous les commerces et les stations d’essence.
Les transports ont été interrompus. Les patrouilles de l’armée circulent entre des voitures calcinées. Aux alentours du marché, des magasins et des maisons ont été pillés et incendiés.
« Cette situation est triste mais par rapport aux propos que les gens tenaient +vous n’êtes pas chez vous+ on savait que tôt ou tard ça allait arriver », estime Adama Traoré, un Malinké.
« L’harmonie a été rompue. On ne peut plus s’entendre, du moins les jeunes gens des deux camps. Il y a tout le temps des accrochages », assure Raphaêl Brou Kouamé, 76 ans, fonctionnaire baoulé à la retraite.
– Un pays divisé –
Les affrontements intercommunautaires, parfois meurtriers, sont fréquents en Côte d’Ivoire, pays d’environ 25 millions d’habitants qui compte plusieurs dizaines d’ethnies.
Ces heurts sont souvent liés à la propriété foncière mais aussi aux transports. Des affrontements entre populations locales et transporteurs dioula, qui contrôlent traditionnellement les taxis-brousse, se produisent sporadiquement, faisant parfois des morts.
La bagarre des deux transporteurs a mis le feu aux poudre mais les dernières élections municipales avaient déjà fait apparaître de profondes divisions entre les communautés, affirme M. Brou Kouamé.
Les municipales (octobre 2018 dont certaines reprises en janvier) ont été marquées par des violences ayant fait plusieurs morts dans le pays avant la présidentielle d’octobre 2020 que beaucoup prévoient tendue.
« La réconciliation, c’est quand on aura fini d’éteindre le feu », affirme Nanan Barthélémy Angoh, entouré de quelques notables baoulés.
« On n’a pas d’autre choix que de faire la paix parce que on ne peut pas retourner chez nous, parce que nous sommes aussi des Ivoiriens et, ici, c’est la Côte d’Ivoire », souligne Adama, Traoré, d’un voix triste.
AFP