3 avril 1984-3 avril 2019. Plus de trois décennies se sont écoulées depuis que les terribles cellules du Camp Boiro ont livré leur lourd secret au peuple de Guinée incrédule puis horrifié devant tant de barbarie. Et si le temps a séché nos larmes et apaisé notre douleur, il ne l’a pas éteinte ni effacé notre souvenir. La blessure était trop profonde pour jamais cicatriser complètement. Nous avons si longtemps pleuré ceux qui nous ont été arrachés si brutalement et tant espéré qu’ils reviendraient ! Et dans cette longue attente de l’hypothétique retour, s’est gravée en nous la parole du prophète, qui nous dicte notre devoir : « les fils des persécutés doivent garder la mémoire des persécutions subies par leurs pères et être les gardiens de la justice ».
Or, alors que nous avons peu fait pour connaitre toute la vérité, voilà que nous arrivons inexorablement au moment où les derniers témoins de la tragédie vont disparaître l’un après l’autre happés par le temps qui s’écoule. Alors que nous avons fourni trop peu d’effort pour donner un éclairage sans complaisance sur cette partie sombre de la vie de notre nation, voilà qu’apparaissent les plaies ouvertes d’un passé qui s’éloigne, tandis que sous l’effet du temps qui passe, la mémoire se transforme en histoire. Déjà des faussaires ne sont-ils pas à l’œuvre pour en altérer la vérité ? Déjà certains ne s’appliquent-ils pas à diluer, pire, à effacer des responsabilités pourtant inscrites en lettres de sang ? La banalisation de la vie humaine, la multiplication des crimes les plus abominables, la dégradation accélérée des mœurs et tous ces abus dans les pratiques quotidiennes des services de sécurité ne sont-elles pas annonciatrices de la résurgence d’actes qui s’apparentes tant par leur essence que par leur finalité à ces abominables pratiques ? N’est-ce pas ce qui advient quand le passé n’est pas convenablement exorcisé ?
Rien ne serait plus grave que de permettre à l’équivoque de s’installer durablement et de masquer, pour le présent et l’avenir de la Guinée, la signification du martyre des victimes du Camp Boiro. Notre nation dont le destin a été émaillé aussi bien de faits glorieux que d’événements tragiques n’a rien à craindre de la vérité.
N’est-il pas inconcevable et dramatique qu’à ce jour aucune investigation sérieuse n’ait été officiellement entreprise pour clarifier des événements d’autant plus tragiques qu’ils concernent une frange importante de l’histoire de notre pays et de sa population ? N’est-il pas politiquement et socialement inacceptable que, trente-cinq ans après l’ouverture des geôles de l’horreur, aucune journée nationale de commémoration n’ait été instituée, aucun monument édifié, aucune rue ou place publique baptisée à la mémoire des martyres du Camp Boiro ?
Certes, le pouvoir actuel, au même titre que ceux qui l’ont précédé, ne saurait être rendu comptable du crime du Camp Boiro commis au nom d’une Révolution infanticide par les dirigeants de la Première République mais il doit à leurs victimes, un ultime hommage : l’enseignement de la vérité, la culture du souvenir et la force de la justice.
Aboubacar SYLLA
Président de l’UFC