Hommage rendu en France aux héros africains de la Grande Guerre
Emmanuel Macron inaugure mardi à Reims (nord-est) un monument aux héros africains de la Grande Guerre, symbole d’une reconnaissance par l’Etat français de l’engagement des tirailleurs africains, jugée tardive par plusieurs chercheurs.
Au sommet d’un piédestal ajouré, quatre tirailleurs africains du corps d’armée colonial scrutent l’horizon autour d’un drapeau français enroulé, porté par un officier blanc.
Ceux qui sont tombés pendant la Première Guerre mondiale demandaient « Plus jamais ça ». Ils nous rappellent l’absurdité du nationalisme belliqueux. #Europe1
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) November 6, 2018
Le monument, érigé une première fois en 1924 avant d’être détruit, rend hommage à la résistance des tirailleurs sénégalais au sein du 1er Corps de l’armée coloniale qui avait notamment été décisive en 1918, en arrêtant l’offensive allemande qui fonçait sur Reims, dernier rempart avant Paris.
Le premier contingent de « tirailleurs » (de « tir » et « ailleurs »), ainsi appelé par raillerie parce que ratant souvent leur cible, était composé d’engagés du territoire du Sénégal.
Mais, « une grande partie des tirailleurs était venue du réservoir d’hommes que constituaient le Haut-Sénégal et le Niger », soit « le Mali et Burkina Faso actuels », souligne Cheikh Sakho, un professeur d’anglais d’origine sénégalaise qui a consacré une thèse sur les représentations des tirailleurs.
Au total, on recensa plus de 200.000 tirailleurs lors de la Première guerre mondiale.
– « Amnésie » –
Du monument originel de 1924, composé d’un bloc de granit de quatre mètres de haut, il ne reste plus que des photos d’archives et des coupures de presse de son inauguration, célébrant la bravoure des soldats indigènes sur fond d’exaltation de l’empire colonial français.
Son histoire a ensuite été mouvementée : en 1940, il est envoyé en Allemagne où le bronze est fondu par les nazis car il renvoyait à la « honte noire » quand en 1920 une partie de l’Allemagne « était occupée par 100.000 soldats des colonies », selon Cheikh Sakho.
Remplacé par une stèle en 1958 puis un nouveau monument non figuratif cinq ans plus tard, ce n’est qu’en 2013 grâce à l’investissement d’une association qu’une copie en bronze de l’originale est réinstallée.
Cette réplique qu’inaugure Emmanuel Macron aux côtés de son homologue malien Ibrahim Boubacar Keïta signe le retour des visages de ces héros de « l’armée noire » à Reims et dans la mémoire collective.
Mais ces soubresauts révèlent aussi la « tardive et timide » reconnaissance par la France de la contribution africaine, estime auprès de l’AFP le Professeur Mor Ndao, enseignant-chercheur au département d’histoire de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar.
« Il y a une sorte d’amnésie (en France). On a refermé la dimension mémorielle de cette page coloniale et on a très peu transmis cette histoire commune », abonde l’historienne Naima Yahi.
« De fait ça fracture la nation. Il faut repenser notre mythologie nationale », ajoute-t-elle.
La Grande Guerre a fait quelque 28.000 morts ou disparus et près de 37.200 blessés au sein des unités d’Afrique noire.
Mais le traitement des tirailleurs « a été inégal par rapport à leurs frères d’armes français et européens », dit M. Ndao, soulignant que les pensions et retraites des anciens combattants des ex-colonies, « cristallisées » en 1959, n’ont été dégelées qu’en 2001.
La cérémonie de mardi se déroule sur le sol français, loin des familles des tirailleurs tous disparus aujourd’hui: le dernier au Sénégal est décédé le 10 novembre 1998, la veille de la cérémonie où la France devait lui remettre la Légion d’honneur. Pour M. Ndao : « C’est tout un symbole ».
AFP