Turquie: Erdogan revendique la victoire à l’issue d’élections disputées
Le président turc Recep Tayyip Erdogan a revendiqué la victoire dimanche à l’issue d’élections âprement disputées face à une opposition qui était déterminée à l’empêcher d’obtenir un nouveau mandat aux pouvoirs considérablement renforcés.
« Les résultats non-officiels des élections sont clairs. Selon eux, notre nation m’a confié la responsabilité de président de la République », a déclaré M. Erdogan lors d’une déclaration à sa résidence à Istanbul, revendiquant également la majorité parlementaire pour l’alliance dominée par son parti, l’AKP.
D’après l’agence de presse étatique Anadolu, M. Erdogan arrivait en tête de la présidentielle avec un score de 52,6% après dépouillement de plus de 97% des urnes, et l’alliance de l’AKP menait avec 53,65%.
Sauf évolution majeure du score en sa défaveur lors du dépouillement des urnes restantes, M. Erdogan semble en effet en passe d’obtenir un nouveau mandat aux pouvoirs renforcés et pouvoir compter sur une majorité au Parlement.
Les élections de dimanche sont particulièrement importantes, car elles marquent le passage du système parlementaire en vigueur à un régime présidentiel où le chef de l’Etat concentre la totalité du pouvoir exécutif, aux termes d’un référendum parlementaire qui s’est tenu l’an dernier.
Son principal concurrent, le social-démocrate Muharrem Ince, arrive en deuxième position de la présidentielle avec 30,7%, et l’alliance anti-Erdogan formée par plusieurs partis d’opposition pour le volet législatif du scrutin récolte 34%, d’après les résultats partiels publiés par Anadolu.
– Contestation de l’opposition –
Des sympathisants du parti au pouvoir AKP du président turc Recep Tayyip Erdogan en liesse devant le siège de la formation, le 24 juin 2018 à Istanbul / © AFP / ARIS MESSINIS
Mais le parti de M. Ince, le CHP, a refusé de concéder la défaite, accusant Anadolu de « manipulations », et exhorté les observateurs à ne pas quitter les bureaux de vote pour empêcher toute tentative de fraude.
Soutenant que le dépouillement n’était pas terminé, en particulier dans les grandes villes et le sud-est à majorité kurde, le CHP a indiqué croire qu’un second tour pour la présidentille était possible.
Mais pour les partisans de M. Erdogan la victoire ne fait plus de doute. Plusieurs milliers d’entre eux s’étaient rassemblés dans la soirée aux abords de la résidence du président à Istanbul, chantant et brandissant des drapeaux.
Le président turc Recep Tayyip Erdogan s’apprête à s’exprimer, le 24 juin 2018 à Istanbul / © AFP / Bulent Kilic
Handan Boztoy est venue avec sa fille fêter la « victoire » devant le siège de l’AKP à Ankara, où M. Erdogan était attendu plus tard dans la soirée.
« Nous savions à 100% que nous allions gagner, Erdogan est notre champion », dit-elle. « Les résultats ne changeront pas, ces 16 dernières années c’est toujours Erdogan qui a gagné. Nous sommes derrière lui en tant que nation ».
En 15 ans de règne, M. Erdogan s’est imposé comme le dirigeant turc le plus puissant depuis le fondateur de la République, Mustafa Kemal. Il a transformé la Turquie à coups de méga-projets d’infrastructures et en libérant l’expression religieuse, et fait d’Ankara un acteur diplomatique clé.
Le candidat du CHP, Muharrem Ince, qui s’est imposé comme le principal rival de M. Erdogan pour la présidentielle, glisse son bulletin dans l’urne à Yalova le 24 juin 2018. / © AFP / Uygar ONDER SIMSEK
« La victoire d’Erdogan est incontestablement le signe de sa grande popularité auprès de l’électorat turc, en particulier l’électorat conservateur dans les régions rurales d’Anatolie, et le signe de sa résilience face à une opposition unie », estime Jana Jabbour, docteure associée au CERI/Sciences Po et spécialiste de la Turquie.
Ses détracteurs accusent le « Reis », âgé de 64 ans, de dérive autocratique, en particulier depuis la tentative de putsch de juillet 2016, suivie de purges massives qui ont touché des opposants et des journalistes et suscité l’inquiétude de l’Europe.
S’il pensait mettre toutes les chances de son côté en convoquant ces élections pendant l’état d’urgence et plus d’un an avant la date prévue, M. Erdogan a été rattrapé lors de la campagne par la dégradation de la situation économique et surpris par un sursaut de l’opposition.
Voyant dans ces élections leur dernière chance d’arrêter M. Erdogan dans sa quête d’un pouvoir incontestable, des partis aussi différents que le CHP, Iyi (nationaliste) et le Saadet (islamiste) ont noué une alliance inédite pour les législatives, avec l’appui du HDP (prokurde).
– Le parti prokurde au Parlement –
M. Ince, un député combatif qui a porté les couleurs du CHP à la présidentielle, s’est imposé comme le principal rival de M. Erdogan pour la présidentielle, électrisant des foules aux quatre coins du pays et réveillant une opposition assommée par ses défaites successives.
Erdogan présente le nouveau système présidentiel auquel il va accéder comme nécessaire pour doter la Turquie d’un exécutif stable, mais ses détracteurs l’accusent de vouloir monopoliser le pouvoir avec cette réforme qui supprime notamment la fonction de Premier ministre et permet au président de gouverner par décrets.
La campagne a été marquée par une couverture médiatique très inéquitable en faveur du président turc, dont chaque discours a été retransmis in extenso par les télévisions.
Le candidat du parti prokurde HDP, Selahattin Demirtas, a été contraint de faire campagne depuis une cellule : accusé d’activités « terroristes », il est en détention préventive depuis 2016.
Selon les résultats partiels, M. Demirtas a obtenu près de 8% des voix et son parti a franchi le seuil de 10% au niveau national lui permettant de siéger au Parlement.
Les craintes de fraudes ont été vives pendant le vote, notamment dans le sud-est à majorité kurde. Les opposants, qui avaient mobilisé une armée d’observateurs, ont dénoncé des irrégularités, notamment dans la province de Sanliurfa.
AFP