Projet Simandou : l’ancien ministre des Mines Mahmoud Thiam donne son avis (lettre)
C’est une tribune adressée aux autorités guinéennes -dont Guineenews a l’exclusivité. L’ancien ministre guinéen des Mines Mahmoud Thiam a donné son avis sur la décision du géant Rio Tinto de quitter le mont Simandou. Pour lui, « la démarche la plus sage pour la Guinée serait donc de recouvrer le contrôle de son bien, de prendre le temps de s’entourer des conseils nécessaires en vue d’élaborer une approche innovatrice et flexible du modèle économique de développement du projet ». Lisez la lettre traduite de l’anglais en français par Guineenews…
La récente déclaration par Rio Tinto plc, annonçant leur intention d’arrêter le développement du projet Simandou en Guinée n’est pas surprenante. Elle arrive juste plus tôt que prévu.
En effet, bien qu’ayant prévenu publiquement à maintes reprises que Rio Tinto ne comptait pas développer Simandou dans un avenir raisonnable, la plupart des observateurs ne pensaient pas que le consortium Simfer allait abandonner de si tôt son contrôle sur la montagne, qu’elle gèle maintenant depuis 19 ans. L’intention de Rio Tinto a toujours été d’empêcher tout autre acteur, présent ou futur, d’avoir accès à ces ressources exceptionnelles tant en qualité et qu’en quantité. L’objectif a toujours été de sortir Simandou du marché et le ”mettre en jachère” en attendant le moment de leur choix.
L’état actuel du marché du minerai de fer est à la fois la couverture et la barrière d’entrée dont Rio avait besoin pour couvrir sa sortie du projet. Il permet au minier Anglo-Australien de justifier sa sortie en s’appuyant sur des critères de rentabilité économique en même temps qu’il constitue une barrière d’entrée toute faite pour tout remplaçant potentiel. En effet, les critères de rentabilité ne sont pas remplis en ce moment pour faire avancer le projet sous son modèle économique actuel. Le projet n’est simplement pas finançable tel quel. Trois autres facteurs semblent, cependant, être la vraie raison derrière cette décision.
Cliquez ci-contre pour accéder à la lettre en anglais COOLER-HEADS-MUST-PREVAIL-Eng-final-1
D’une part, les marchés des capitaux ont, de manière répétée, signalé à Rio Tinto qu’ils s’opposent a ce qu’elle s’embarque dans un nouveau méga projet. En réalité, la compagnie a été incapable de développer un projet de cette envergure au cours des dernières décennies, et les marchés semblent douter de ses capacités à le faire. C’est pourquoi les mêmes marchés financiers ont salué l’annonce sur Simandou par une hausse du cours en bourse de l’action de Rio Tinto.
D’autre part, Rio Tinto et ses rivaux Vale, BHP et Fortescue, constituent, de fait, un cartel informel qui contrôle le marché du minerai de fer transocéanique. Ce groupe détermine le niveau de l’offre internationale et rejette l’arrivée de la nouvelle source de minerai que constituerait Simandou. Là encore, le marché a marqué son approbation à la décision de Rio sur le Simandou par une hausse du prix du minerai de fer.
Enfin, depuis 2010, Rio, Vale et le reste du “cartel” sont parvenus à accroître leur capacité de production de minerai de fer de manière considérable. Ceci, sans aucune contribution de Simandou, en ayant simplement recours à leurs mines existantes à Pilbara, Carajas et ailleurs à travers le monde. En effet, au cours de la dernière décennie, Rio a investi $19.8 milliards à Pilbara pour faire passer sa capacité de production annuelle de 171 millions de tonnes à 360 millions de tonnes. Durant la même période, Vale a investi $19.6 milliards pour faire augmenter sa capacité de production de 90 millions de tonnes par an à fin 2016. En clair, Simandou n’est plus utile à l’une ou l’autre des deux sociétés qui ont occupé Simandou ces dix dernières années. Fortescue a triplé sa production et BHP a certainement accru la sienne avant d’abandonner Nimba, notre autre espoir dans le fer. Pour la petite histoire, en 2007, dans sa défense contre la tentative de rachat hostile de BHP, Rio avait annoncé que les 70 millions de tonnes par an de Simandou lui aurait couté $6 milliards à développer. Donc, pour $86 la tonne, la société, si elle l’avait souhaité, aurait pu développer Simandou. Elle a préféré dépenser $105 la tonne ailleurs.
Les faits ci-dessus soulignent l’importance pour la Guinée d’éviter de se précipiter vers une autre erreur monumentale : un schéma de remplacement pour combler le vide laissé par la sortie de Rio Tinto et de ses partenaires. L’état désastreux du marché devrait être saisi comme une opportunité pour le pays. Le monde du fer, dans son entièreté, étant à l’arrêt, rien ne presse. Nous devrions retenir notre souffle et prendre le temps d’élaborer une stratégie solide. Il y va de l’avenir du pays et de la sauvegarde de notre patrimoine commun. Ni la pression de l’opinion publique, ni le désir, compréhensible, de corriger ce qui pourrait apparaître comme un affront de la part de Rio Tinto, ne devrait amener notre gouvernement à perdre son sang froid.
Il est probable que des courtiers de tous genres fassent déjà des propositions alléchantes au gouvernement. La réalité est qu’aucun partenaire techniquement et financièrement capable de porter ce projet comme il faut, ne saurait être trouvé aujourd’hui. A moins que ce ne soit dans des conditions extrêmement désavantageuses pour les intérêts à long terme de la Guinée. Des spéculateurs se présenteront toujours mais aucun acteur crédible qui pourrait développer le projet dans les termes et suivant le calendrier prévu par la Guinée n’est disponible actuellement.
C’est pour cette raison que j’estime que ce serait desservir les intérêts de la Guinée que de se précipiter dans un nouveau partenariat ou d’essayer de forcer Rio Tinto à remplir des obligations qu’elle n’a jamais eu l’intention de remplir. C’est un cadeau que Rio nous tend. Arrachons le de ses mains et tournons lui le dos.
Notre seul objectif, en tant que Nation, devrait être d’organiser une sortie totale de Rio Tinto et de ses partenaires du Simandou. Que l’actif, c’est-à-dire la concession, soit rendu à la République de Guinée sans contrepartie et sans aller au conflit. Après tout, Rio Tinto est un de nos partenaires importants dans CBG (Compagnie des Bauxites de Guinée) et cette relation est appelée à continuer. Cependant, une fois qu’elle a publiquement annoncé son intention d’abandonner ce projet à vocation transformationnelle pour notre pays, retourner l’actif au peuple de Guinée est la seule option qui devrait être laissée à la société. Le Gouvernement serait bien inspiré de ne pas essayer de jouer les partenaires de Simfer l’un contre l’autre. Ce serait un exercice futile dans lequel la Guinée ne pourrait que perdre la face. Rio Tinto à elle seule ne saurait prendre une décision si majeure, si néfaste et contraire aux intérêts de la Guinée sans l’accord préalable de son actionnaire le plus important : Chinalco. Il serait d’une grave naïveté stratégique d’imaginer que Chinalco, après avoir entériné la décision de Rio Tinto, pourrait maintenant prendre sa place et porter le projet dans des conditions favorables à la Guinée. Nous le répétons : Chinalco est l’actionnaire possédant individuellement le plus de parts dans Rio Tinto. Leurs intérêts sont donc intimement liés.
Il est vraisemblable que Rio Tinto lance un processus pour revendre le projet. Le gouvernement devrait leur indiquer sans aucune ambiguïté qu’il attend la rétrocession immédiate et sans contrepartie de l’actif à la République de Guinée, de la même manière que BHP Billiton a procédé quand elle a décidé de ne plus développer les gisements de bauxite de Boffa-Santou-Houda. Le gouvernement devrait simultanément indiquer publiquement qu’il n’approuvera aucune transaction menant à la cession de cet actif à un tiers sous un tel processus de revente. Le peuple de Guinée a attendu 19 ans pour que la mise en valeur de cette ressource majeure contribue à son bien être. La formule envisagée jusqu’a présent ayant échoué, il est temps que nous prenions contrôle de son développement selon un schéma élaboré par la Guinée avec l’aide de spécialistes qui travaillent réellement pour son compte.
En tant que propriétaire de l’actif, la Guinée pourra alors tirer avantage de l’état actuel du marché du minerai de fer, pour repenser la stratégie et mettre le projet sur une voie de développement réalisable, quand les conditions du marché s’y prêteront de nouveau. Les Guinéens seront alors en mesure d’accepter le partenaire qui leur convient, selon les conditions mutuellement avantageuses.
Un fait simple souligne à quel point Simandou est handicapé aujourd’hui. Il est important de le rappeler : Rio Tinto et Vale sont parvenus à remplir leurs objectifs de production et à satisfaire la demande globale au cours des dernières années, sans aucune contribution de Simandou. Nul ne semble désireux d’ajouter de la capacité tant que la demande mondiale restera nettement en dessous de l’offre et que d’énormes inventaires subsisteront. La démarche la plus sage pour la Guinée serait donc de recouvrer le contrôle de son bien, de prendre le temps de s’entourer des conseils nécessaires en vue d’élaborer une approche innovatrice et flexible du modèle économique de développement du projet. Dès qu’un nouveau cycle le permettra nous seront en mesure d’accepter le partenaire de notre choix dans les conditions de notre choix.
Nous faisons face à un défi national qui transcende les clivages politiques. L’histoire et le destin donnent une nouvelle chance à la Guinée de remettre le projet Simandou sur la bonne voie. Si nous ratons cette opportunité, il ne nous restera qu’à espérer à nos petits enfants en aient une autre.
Mahmoud Thiam, ancien ministre des Mines, de la Géologie, de l’Energie et de l’Hydraulique
Brillante analyse ! J’acquiesce totalement. Cette lettre ouverte est d’une très grande pertinence et j’espère que les conseils de Thiam seront suivis. Rio Tinto est le partenaire de Chinalco dans le cadre d’une joint-venture ; il ne faut jamais perdre cela de vue. Penser qu’on peut jouer l’un contre l’autre est une aventure périlleuse. La priorité doit être d’abord de récupérer le Simandou sud en attendant des jours meilleurs. Comment ? C’est le moment de demander conseil aux grands cabinets qui ont été mis à contribution pour le Code minier et d’autres travaux connexes. Car depuis 1997, Rio Tinto a fait beaucoup d’erreurs. Parallèlement, l’Etat doit soutenir les juniors qui travaillent effectivement sur le terrain pour maintenir un minimum d’emplois dans une perspective qui s’annonce chaotique pour les employés locaux de la compagnie anglo-australienne. A terme, cette stratégie va permettre à la Guinée d’avoir des cadres et ouvriers qui ont participé à l’exploitation d’une mine de fer. Salut à tous.